J’ai rencontré Tasha Rumley il y a quelques semaines maintenant, à l’occasion d’une interview réalisée pour le Matin Dimanche. Isabelle Falconnier, la journaliste, nous avait conviées au Café Romand à Lausanne. Il s’agissait de discuter de nos premiers ouvrages autour d’un café et de faire une belle photo, en toute amitié.
Nous étions trois primo-romancières : Tasha Rumley (À l’amour à la mort), Emmanuelle delle Piane (Grenier 8), et moi-même (Hermès Baby).
Malgré ma fébrilité – c’était ma première interview – j’ai trouvé le moment passionnant. Je buvais littéralement les mots de mes acolytes. Ceux de Tasha notamment, pour qui j'ai eu un véritable coup de cœur amical et professionnel.
De ses interventions se dégageaient une sérénité et une intelligence qui me désarçonnaient. Loin d’être intimidée par l’exercice, Tasha brillait. Et si je me rends bien compte aujourd’hui qu’au vu de son exceptionnel parcours, cela venait très certainement du fait « qu’elle en avait vu d’autres », je ne pouvais alors qu’être pétrie d’admiration.
Autrefois journaliste à L’Hebdo, Tasha s’était consacrée aux missions humanitaires comme déléguée du CICR. Slaviste de formation, elle avait œuvré en URSS surtout, des prisons kirghizes à l’éclatement de la guerre du Donbass. Passionnée de langues et de mots, elle sautait volontiers d’un idiome à l’autre, à l’affût d’un dicton intraduisible ou d’une rime comestible. Elle vivait à Sainte-Croix où elle perpétuait son travail humanitaire de jour et s’adonnait à l’écriture la nuit.
Disons qu’à côté d’une telle femme, j’avais de quoi me sentir toute petite.
Mais déjà je m’égare car ce n’est pas d’elle dont je veux vous parler ici, mais bien de son superbe recueil de nouvelles À l’amour à la mort.
Je dois d’abord avouer que je ne suis pas une grande amatrice de nouvelles. J’admire la concision qu’implique le genre, son efficacité et son entièreté, mais je suis d’abord et avant tout une immense lectrice de romans.
J’aime les récits qui se déploient dans le temps, les histoires qui n’en finissent pas de tisser autour de notre cœur une toile de feu, les personnages qui s’immiscent dans nos vies pour ne plus faire qu’un avec elle, le temps d’une lecture.
Je n’aurais, de fait, pas spontanément été vers ce texte, mais il est de jolies surprises que la vie nous réserve et celle-ci – je le sentais – en était une. Trois raisons à cela :
1. Séduite comme je l’avais été par notre rencontre, je n’envisageais pas de ne pas lire son texte.
2. J’aimais passionnément la photographie de Niels Ackermann que Tasha avait choisie en couverture.
3. À l’amour à la mort me tendait littéralement les bras à la librairie, la dernière fois que j’y avais mis les pieds.
Alors je l’avais acheté, je l’avais ouvert pour ne plus le refermer qu’une fois terminé.
*
Voilà comment l’éditeur présente À l’amour à la mort :
En sept récits, la mort rencontre l’amour. Histoires de drames et de ce qu’on en fait, de loyautés et de culpabilités, d’attachements et d’émancipations, de détournements et de réinventions. Il faut être deux pour danser le tango et langoureusement, l’amour et la mort nous emmènent dans leur farandole sans merci, où l’une tend des croche-pattes à l’autre, qui lui décroche un uppercut dans sa chute. Cela donne des deuils volés et des jeunes filles enlevées, des héritiers esseulés et des hommes objectifiés, des liaisons suicidées et des amitiés négligées, des Orientales à émanciper, des âmes sœurs à réincarner et des corps à exhumer.
Comme souvent avec l’amour, cela semble compliqué. Attendez donc que la mort s’en mêle…
*
Sachez tout d’abord que je n’ai absolument aucun intérêt à défendre cet ouvrage : Tasha et moi ne nous connaissons pas outre mesure,
nous ne sommes pas publiées dans la même maison d’édition,
nos textes sont sortis plus ou moins en même temps - ce qui, bêtement, les met « en concurrence »
et nous livrons, toutes deux, bataille actuellement pour les voir sortir du lot.
Mais vous l’avez compris, j’ai passionnément aimé cet ouvrage et il me semble qu’il serait ridicule de ne pas le clamer haut et fort.
À l’amour à la mort a toute sa place parmi les tout grands.
Si ce premier recueil est objectivement impeccable, que ses nouvelles sont admirablement construites, sublimes d’efficacité et de beauté, c’est avant tout la langue de Tasha Rumley qui m’a éblouie.
Fine, précise, sans concession, parfois délicieusement orale, parfois précieuse, elle a la couleur de l’orage et celle du clair de lune.
Elle est emplie de colères, de doutes, de douleurs,
de beaucoup de douceur et de compassion aussi.
Elle échappe aux poncifs, évite tous les écueils, invente quelque chose.
Quelque chose sur lequel il est difficile de poser des mots. Quelque chose relevant de l’évidence,
de l’intelligence pure,
et du talent plus que certain.
On plonge dans ces sept histoires comme dans un lac de montagne : d’abord on est inquiet – après tout, on ne voit pas le fond et puis on nous a raconté de sombres légendes à son sujet,
ensuite c’est douloureux – l’eau nous glace le cœur, le ventre et les orteils,
mais en en ressortant, on ne peut s’empêcher de crier: ça fait un bien fou, elle est incroyable !
Alors un immense bravo à Tasha Rumley pour cet ensemble original et terriblement intime. J’ai eu un plaisir infini à me glisser entre ses phrases et comprendre un peu mieux l’autrice que j’admire depuis ce matin d’avril, au Café Romand.
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