Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes ? d’Amanda Castillo est l’essai féministe que l’on voit passer partout : entre les pages glacées des magazines littéraires prescripteurs, dans les derniers articles des blogs culturels et sur les comptes instagram sensibles aux questionnements féministes.
Et c’est tant mieux !
Car en sus de la question qu’il soulève de par son titre – essentielle au demeurant – c’est toute la culture patriarcale qu’il dénonce et cloue au pilori.
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À quel âge une femme devient-elle un « objet périmé » ?
Notre époque cultive la jeunesse et impose un modèle toxique qui rend les femmes esclaves du temps qui passe. Amanda Castillo mène l’enquête et décortique les schémas véhiculés par la publicité, le cinéma et les livres. Elle pousse un cri de colère. Pourquoi continuer à accepter l’inacceptable ?
Un autre monde est possible. L’autrice explore des vies inspirantes : Benoîte Groult, Lou Andreas-Salomé, George Sand ou Dominique Rolin. Elles ont été admirées, courtisées, jusqu’à soixante-cinq ans, voire, pour certaines, bien au-delà. Qu’avaient-elles compris qui nous échappe ?
L’éditeur ajoute :
Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes ? est une invitation à se débarrasser de la pression du regard sur nos corps et sur nous-mêmes. Un livre jubilatoire et galvanisant.
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Galvanisant. Cela va sans dire.
De la même façon que l’excellent Sorcières, la puissance invaincu des femmes de Mona Chollet, l’essai d’Amanda Castillo m’a transportée, emportée, mise en colère et ranimée. Et si j’étais déjà plus que sensible à ces questions, que nombre d’entre elles avaient été abordées en long en large et en travers dans les articles, les essais, les bandes-dessinées et podcasts que je lis/écoute, et que l’essentiel des idées véhiculées dans Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes avaient déjà fait des ronds dans mon esprit, c’est avec un immense intérêt que je les ai trouvées évoquées et mises en lumière ici.
Car voilà où nous en sommes (en vrac) :
- Aujourd’hui, toutes les études l’affirment : le capital d’attraction des femmes décline dès l’âge de…19 ans. Et sur les réseaux sociaux, le pic d’attractivité des femmes est à 18 ans tandis que celui des hommes est à 50 ans. Une autre étude souligne que quelque soient leur âge, leur statut social, leur culture et la durée de la relation envisagée, les hommes hétérosexuels sont en grande majorité attirés par des femmes entre 17 et 25 ans. (Cet écart a une incidence énorme lors de l'arrivée de l'enfant: les femmes, plus jeunes et donc moins avancées dans leur carrière, la mettent plus volontiers entre parenthèses, ce qui ne fait qu'accroître les inégalités sociales et économiques avec leur partenaire).
- L’apogée de la carrière d’une actrice se situe entre 24 et 32 ans quand elle s’étale, chez les acteurs, entre 30 et 58 ans. À l’écran par ailleurs, les écarts d’âge sont aussi ubuesques que navrants : les vieux acteurs se voient attribuer des partenaires de trente ans de moins qu’eux et les actrices quadragénaires sont cantonnées aux rôles de grand-mère.
- Sur le versant littéraire, nombreux sont les auteurs encensés par la critique (Beigbeder, Houellebecq…) qui n’hésitent pas à nous expliquer que les hommes cessent d’aimer leur femme le jour de ses 40 ans, âge de la ménopause sociale.
- La publicité quant à elle, ne propose que deux modèles : la jeune fille en fleur et la quinquagénaire (ni désirée si désirante) en train d’acheter des appareils auditifs. Et entre les deux, le vide.
- L’industrie de la mode hypersexualise adolescentes et fillettes et les influenceuses vantent leurs « vagins de petites filles » tout en conseillant des capsules de resserrement intime pour éviter les infidélités du conjoint.
- L’immense majorité des femmes se teint les cheveux passé un certain âge (et se les coupe, pour éviter l’association aux sorcières) alors que très peu nombreux sont les hommes à en ressentir l’utilité. Et que dire de la chirurgie esthétique ?
- Les magazines people continuent à témoigner d’une joie quasi-hystérique lorsqu’il s’agit d’annoncer qu’un acteur de 80 ans sort avec une jeune femme d’à peine 25.
- Et même la langue française s’y met en possédant une quantité infinie de mots dénigrants pour parler d’une vieille femme quand elle n’a que celui de vieillard pour parler d’un homme âgé.
Ces « quelques » points ne sont que les symptômes d’une maladie culturelle dramatique : les femmes sont avant tout des corps qui n’existent que pour satisfaire les hommes.
Et l’explication qu’Amanda Castillo propose est aussi dramatique que riche d’enseignement :
« Le plaisir esthétique que ces hommes retirent d’une peau lisse et d’une fente étroite n’est pas la raison principale pour laquelle ils célèbrent avec autant de ferveur la jeunesse. D’autres qualités associées au jeune âge supplantent largement les seins qui dardent et les cuisses fermes : la malléabilité, la vulnérabilité, l’inexpérience.
Pour le dire autrement, la sanctuarisation de l’extrême jeunesse n’est rien d’autre que la sanctuarisation des liens de vassalité entre un homme et une femme. »
Une fois ce constat – saisissant – fait, Amanda Castillo nous donne à voir et rencontrer quelques femmes qui ont compris que le meilleur antidote à l’érosion du désir n’était pas un corps éternellement jeune et une personnalité au service des autres mais la capacité pour une femme à vivre sa vie à la première personne. À exister, tout simplement.
Vous l’avez compris, Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes est aussi instructif que passionnant. Études, essais et articles à l’appui, il électrise, enflamme et donne quelques pistes à l’ébauche d’un nouveau chemin.
Juste, joyeux et enthousiasmant.
Sur lequel les femmes ont enfin le rôle et l’ambition qui leur revient.
Alors merci Amanda Castillo pour cette lecture. J’en ai adoré chaque ligne. Elles m’ont galvanisée, amenée à réfléchir contre moi-même, et poussée dans mes retranchements.
C'est un texte sain et puissant à lire de toute urgence pour que le patriarcat dominant ne soit plus qu’un lointain souvenir contemplé avec dédain.
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