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  • Photo du rédacteurloudebergh

J'ai péché, péché dans le plaisir, Abnousse Shalmani.


Certains livres possèdent un étrange pouvoir d’attraction. Ils n’y paraissent pas, de prime abord. On les pense inoffensifs, lointains. Incapables. 

On se dit qu’on les aura oubliés sitôt refermés. Et qu’on ne les rouvrira probablement jamais. 

Pourtant, on les dévore. 

Et une fois terminés, on sent que quelque chose s’est ouvert en nous. 

Une fenêtre sur un ailleurs. 

Un avenir. 


C’est ce qui m’est arrivé avec J’ai péché, péché dans le plaisir d’Abnousse Shalmani. 

Il y a quelques années, j’avais été littéralement soufflée par son exceptionnel Les exilés meurent aussi d’amour. Aussi, c’est la fleur au fusil que j’ai entamé le dernier-né de l’autrice franco-iranienne, pressée par la joie qui, je le savais, m’envahirai dès les premières lignes. 


J’ai cependant - très vite - déchanté. Je ne parvenais pas à m’attacher d’une quelconque manière à ses personnages, pourtant tout droit sortis d’un passé pas si lointain. J’avais le sentiment qu’on me racontait une histoire ancienne, quelque chose qui n’avait pas grand chose à voir avec la vie ni avec moi. Quelque chose duquel la narratrice restait désespérément distante. 

J’avais beau trouver la langue d’Abnousse Shalmani merveilleuse, soignée, précise, et ciselée, je me demandais bien ce qu’elle servait vraiment, 

de par la force de son verbe. 


*


Téhéran, 1956. Lors d’une lecture de ses poèmes, Forough Farrokhzad, vingt ans, égérie des milieux littéraires iraniens, rencontre un jeune homme qui va bouleverser sa vie. Pour elle, Cyrus traduit en persan les œuvres de Pierre Louÿs, décrit le poète et son grand amour, Marie de Régnier. Bridée par un mari sans fantaisie, sa famille et les mœurs de son pays, Forough entrevoit l’existence de ses rêves. 

Gracieuse, intelligente, perverse, Marie est une des reines de la Belle Époque. Admirée du Tout-Paris artistique pour ses écrits, elle collectionne amants et maîtresses. Avec Louÿs, son mari Henri de Régnier, ses amis Claude Debussy, Marcel Proust, Léon Blum, Liane de Pougy ou encore Nathalie Clifford Barney, elle poursuite sa quête de liberté et de gloire littéraire. 


*


J’ai péché, péché dans le plaisir est le portrait croisé de deux femmes aux destins extraordinaires. Une française s’ébattant dans le Paris de la Belle-Epoque, et une Iranienne luttant corps et âmes dans l’Iran des années 50. 

Deux poétesses infiniment désirantes, deux femmes éprises de liberté, deux êtres de chair et de sang envoutés par le désir. Et deux écrivaines qui firent le choix de l’absolu, de la sensualité et de la passion

au risque de s’y consumer. 


Et si j’ai été passablement gênée par le parti pris de la narration envisageant celle-ci comme largement a posteriori et dans une forme d’accéléré empêchant, de mon point de vue, le.a lecteur.ice de prend réellement part au récit (pourtant si vivant), je dois rendre toutes ses lettres de noblesse à la langue de l’autrice, la splendeur de son texte et le caractère vibrant de son récit. J’ai été prise dans cet élan sublime et me suis vue le dévorer en quelques heures. 


Ma fille de trois ans, en voyant le livre posé sur la table basse du salon, a asséné, de sa voix flûtée, c’est un très joli livre, hein maman? Certainement, ma chérie. 

Mais c’est surtout une sublime fenêtre sur le monde. Sur l’hier et l’aujourd’hui. Sur ce qu’était le paysage littéraire d’alors, ses chapelles et ses batailles.

Et sur ce que disait la chair - et ce qu’elle dit encore - dans une langue à jamais universelle. 


« J’ai péché, péché dans le plaisir, 

dans ses bras chauds et enflammés. 

J’ai péché, péché dans des bras de fer, 

dans des bras brûlants et rancuniers. 

Dans ce lieu calme, sombre et muet, 

je me suis assise près de lui, agitée. 

Ses lèvres ont versé l’envie sur mes lèvres. 

Du chagrin de mon cœur fou, je me suis libérée.

(…)

L’envie a enflammé son regard, 

le vin rouge a dansé dans le verre,

et sur le lit doux, mon corps

ivre de volupté sur sa poitrine a tremblé. 

J’ai péché, péché dans le plaisir, 

près d’un corps tremblant et évanoui. Seigneur! Je ne sais ce que j’ai fait 

dans ce lieu, calme, sombre et muet. »


Forough Farrokhzad, 

« Le péché », dans Le Mur, 1955. 



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