La semaine passée, j’ai regardé Agnès Desarthe à La Grande Librairie. Je ne l’avais jamais lue ni entendue. Mais j’ai immédiatement été emballée par la femme qu’elle était, son intelligence, sa finesse, son rayonnement.
Le lendemain, je me suis précipitée à la librairie pour acheter le roman qu’elle était venue présenter sur le plateau de François Busnel :
L’éternel fiancé.
Et si j’ai été enchantée par la première moitié du livre, que j’ai trouvée drôle, sensible, pleine de vitalité et d’élégance, je dois avouer n’être parvenue à la fin qu’avec difficultés.
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Le synopsis, pourtant, avait tout pour me plaire :
À quoi ressemble une vie ?
Pour la narratrice, à une déclaration d’amour entre deux enfants de quatre ans, pendant un concert de Noël.
Ou à leur rencontre en plein hiver, trente ans plus tard, dans une rue de Paris.
On pourrait aussi évoquer un rock’n’roll acrobatique, la mort d’une mère, une exposition d’art contemporain, un mariage pour rire ou la vie secrète d’un gigolo.
Ces scènes – et bien d’autres encore – sont les images où viennent s’inscrire les moments d’une existence qui, sans eux, serait irrévocablement vouée à l’oubli.
Car tout ce qui n’est pas écrit disparaît.
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C’est le genre de romans au sujet desquels les chroniqueurs du Masque et la Plume sur France Inter disent habituellement : « On n’y comprend rien ! ».
Et il y a un peu de ça, je le confesse.
L’éternel fiancé m’a vraiment fait l’effet d’une porcelaine, raffinée et originale, que l’on s’était amusé à briser intentionnellement, petit à petit, pour le simple plaisir de la destruction.
Au début du roman, les personnages principaux (la narratrice, Etienne, Antonia) sont profonds, justes et pleins de grâce. Leur enfance et leur adolescence résonnent de mille couleurs, bariolées ou nuancées, vives ou fanées.
Et tout à coup, la magie disparaît. Ils se mettent à flotter dans un malheur qui sonne faux. Les traits sont tirés, le dessin grossier.
L’entrée en scène du personnage de Clyde Spencer, sensé réunir nos protagonistes, n’apporte rien et a quelque chose de terriblement factice, d’illusoire et de tiré par les cheveux.
Et la pseudo-philosophie sur le temps qui passe et le sens de la vie - ce roman serait, selon l’éditeur, une façon de conjurer l’oubli - qui emplit les dernières pages m’a dérangée voire gênée.
Je relève néanmoins deux passages, dans la première moitié du roman, que j’ai trouvé exceptionnels de vérité et d’intelligence :
« Antonia avait du génie. Elle avait su résumer l’essence de nos mères, cette façon qu’avaient les femmes de s’incarner dans la modernité en s’y échouant, d’être à la fois lumineuses et invisibles, translucides et étrangement opaques, protectrices et froides, car la salle fermée par la bâche ne représentait pas seulement leur quotidien, leur rapport à la consommation et au monde, elle était leur matrice. Dans cette salle comme autrefois dans leur ventre, nous nous tenions à l’abri, protégées par leur fragilité, exposées à la lumière, aveuglées par leur candeur. Elles engendraient des filles libres, elles qui ne l’avaient pas été, pas tout à fait, mais qui avaient éprouvé la douloureuse conscience de l’enfermement, l’insuffisance de leurs forces, l’émiettement constant de leurs convictions, à la différence de leurs propres mères qui avaient subi sans nommer, se satisfaisant de survivre, avec pour seul luxe l’abrutissement antalgique que procure la misère. »
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« Ma courte expérience de la vie m’avait appris que les maris sont, la plupart du temps, ridicules. Ils ne sont pas ridicules au travail, seuls en forêt, ou avec leur maîtresse. Ils sont ridicules à côté de leur femme car au bout de quelque temps, comme une bille sur un plateau de solitaire qui finit par se caler dans un creux après avoir hésité entre deux, ils s’immobilisent dans le rôle de l’enfant, petit garçon dépendant de l’épouse transformée en maman, ou dans celui de père, tyran grommeleur et impatient. »
Vous l’aurez compris, c’est avec déception que je referme ce roman, pourtant entamé avec un plaisir non-dissimulé. Dommage !
Mais à la prochaine, tout de même, Madame Desarthe, car il y a fort à parier que je trouve mon bonheur un peu plus haut dans vos écrits.
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