Certains romans vous émeuvent pour d’obscures raisons.
Leur synopsis, de prime abord, ne vous touche pas plus que cela,
leur apparence est des plus sobres,
et leurs premières pages ne font pas vibrer vos entrailles,
mais ils se retrouvent rapidement couverts de ce voile léger, diaphane, presque invisible qui les rend désirables.
Vous les lisez en quelques heures,
studieux·se, patient·e, attentif·ve,
puis vous les refermez et voilà qu’une étrange tristesse vous envahit.
De celles qui se loge au fond de votre gorge, juste sous votre glotte.
C’est une tristesse qui n’appelle pas de larmes,
une tristesse qui se contente d’exister dans votre cœur
et de se plaire à le faire vaciller.
Vous l’avez compris, c’est cette tristesse, aussi légère que transitoire, qui m’a submergée en terminant La Fabrique du corps humain de Jérémie André.
Cette émotion, je l’ai savourée comme une praline décollée d’une brioche dorée, je l’ai laissée prendre ses quartiers dans ma poitrine, pousser quelques meubles, s’y faire une place.
Et c’était doux.
*
Un soir d’été, trois individus se rencontrent par hasard dans un fast-food de l’emblématique quartier lausannois du Flon : Dominique, jeune interne en médecine, Anna, équipière au sein du Brother Burger et Jean-Pierre, gérant de l’enseigne de restauration rapide.
Dominique et Anna ont eu une liaison quatre ans auparavant. Dans la lumière blafarde du fast-food, sous le regard inquisiteur de Jean-Pierre, ils se demandent ce qui les a poussés à se quitter et s’interrogent sur ce qu’est devenue leur vie – qui ressemble tant à une impasse.
L’éditeur ajoute :
À la fois théâtre d’anatomie et théâtre des passions humaines, La Fabrique du corps humain est un véritable roman des corps. Le corps comme objet d’étude et de savoir. Le corps dépositaire des angoisses de l’homme contemporain. Et le corps modelé, traversé et parfois détruit par les exigences prédatrices du capitalisme sauvage.
*
Si je ne peux qu’acquiescer à ces observations éditoriales, je dois avouer qu’avant toute considération intellectuelle – voire intellectualisante – ce sont d’abord les personnages en tant qu’êtres humains sensibles et uniques qui m’ont touchée, participant de la mélancolie dans laquelle je me suis trouvée une fois le roman terminé.
J’ai trouvé leur incommensurable solitude parfaitement rendue, les plaies ouvertes dans les cœurs d’Anna, de Dominique et de Jean-Pierre données à voir avec intelligence et leurs peaux meurtries subtilement montrées. J’ai eu l’impression de cheminer avec des amis, des êtres complexes et abîmés, bercés de questions, lardés de cicatrices, et cela m’a infiniment plu.
La langue est sobre et mesurée, blanche parfois, sensible toujours. Au service du propos, littéralement.
Et puis il y a la thèse de ce roman, cachée entre les omoplates des personnages, habilement mise en exergue par l’auteur à certains moments du récit et intelligemment libérée à la fin. Un argument de plus pour sauter à pieds joints dans ce court roman passionnant aux dernières pages jubilatoires.
Une réussite !
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