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  • Photo du rédacteurloudebergh

La fille de Personne, Cécile Ladjali.


J’aime les romans érudits.

Ils portent en eux une sorte de magie. Leurs pages sont ceintes d’une auréole mystérieuse et leurs mots emplis d’envoutantes cabales.

Ils ont ce je ne sais quoi capable de vous entrainer dans une profonde hébétude tout en vous faisant sentir l’unique détenteur d’un savoir secret.


Au détour d’une phrase, on s’inquiète : mon dieu que c’est compliqué ! On n’y comprend goutte. Mais quelques lignes plus tard, c’est tout le Sens d’un propos qui nous frappe au visage et envahit notre être d’une absolue certitude.

J’avais déjà ressenti cette étrange impression entre les pages de certains romans d’Umberto Eco (Le pendule de Foucault, L’île du jour d’avant) et je dois avouer que cela m’avait autant terrifiée que séduite.

La fille de Personne de Cécile Ladjali m’a fait renouer avec ce vertige.

 

Consacrée aux bibliothèques à l’épreuve du feu, la thèse de Luce Notte, étudiante berlinoise orpheline de père la conduit, à l’été 1912 à Prague, où elle prend un poste de jeune fille au pair chez les Kafka. Le jeune Franz n’a encore rien publié, il se morfond dans une compagnie d’assurances et se cache de son père pour écrire ce qui deviendra Le Verdict. Quarante ans plus tard, installée comme libraire à Paris, Luce épouse la solitude de Sadegh Hedayat, écrivain iranien exilé à Paris.

C’est ainsi, à la faveur de « coïncidences supérieures », qu’elle croise les destins contrariés de ces deux écrivains gagnés par la tentation du suicide et de la destruction de leurs textes.

Mais la puissance de rêve de la lectrice passionnée qu’elle est l’emporte sur l’oubli. Luce favorisera le difficile accomplissement de l’œuvre pour l’un, s’efforcera d’éviter son anéantissement pour l’autre, inspirant Franz et Sadegh pour tenter de sauver ce qui peut l’être de ce terrible bûcher des vanités. En retour, il lui sera fait don d’un legs inestimable, deux inédits des maîtres, qui lui confèrent enfin à elle, la fille de Personne, une identité.

 

« Je suis la fille d’un fantôme et la propriétaire d’un texte fantôme. La connaissance que j’en ai suffit à l’animer. Je lui confère un souffle et fait entrer la vie dans son enveloppe vide par ma lecture. Mes mains qui en tournent les pages silencieuses les rendent étonnamment loquaces. Mes yeux exhument le sens enseveli et ma faim ravive le carnage insigne. D’ailleurs, les livres sont tous des fantômes qui errent et ne trouvent la paix, une assignation à leur vain périple que s’ils croisent le temps oisif d’un lecteur bienveillant. Ce sont les lecteurs qui arrachent les œuvres à la damnation, aux flammes de l’oubli, à la poussière des heures qui transforment encre et papier en sable. »


Et comme j’ai été heureuse d’arracher ce livre aux flammes de l’oubli ! Certaines de ses pages sont de pures merveilles, tant sur le plan du fond que de la forme. Quel délice que de s’y plonger ! De les lire et les relire à haute voix, de s’en humecter lèvres et de laisser la sève de leurs mots ruisseler dans notre gorge.

Les paragraphes sur la force de la Littérature, les plaisirs de la lecture, la magie des mots sont aussi lumineux que fascinants. Ils résonnent d’une justesse indicible et relèvent de la perfection.

Le talent d’écrivaine de Cécile Ladjali n’est, en somme, pas à prouver : il rayonne page après page et fait de nous, lecteurs, les récipiendaires d’un véritable trésor.

Pourtant, et malheureusement, au tableau viennent se coller quelques ombres.

J’ai trouvé que le personnage de Luce Notte sonnait faux (à plusieurs reprises d’ailleurs me suis-je demandé si c’était une femme dans ce qu’elle a de plus réel et non une force, une image ou un esprit). J’ai eu le sentiment qu’elle n’était qu’un prétexte à aborder et mettre en parallèle les histoires de deux monstres de la Littérature que Cécile Ladjali affectionne. D’ailleurs, seuls les récits les concernant au premier plan sont réellement intéressants.

D’autre part, outre le fait que le La fille de Personne comprend plusieurs passages des plus obscurs, il est intéressant de s’arrêter sur la nature du livre. Actes Sud le présente comme « le roman du père, de celui que l’on se cherche ou que l’on s’invente », mais il s’agit à mon sens plus d’un essai sur les vertiges de l’écriture et les tourments de la Littérature qu’autre chose. Le qualifier de roman a quelque chose de factice.


« Privé de son lecteur, l’auteur n’est rien. Il n’est que le signataire d’un néant, d’une lettre muette, sourde et aveugle. C’est tout le sang du lecteur qui irrigue la carcasse sèche des livres. »


Alors je vous laisse juge! De quel côté la balance penchera-t-elle?

Une chose est sûre, cependant,

vous n’y perdrez pas votre temps !

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