Le goût sucré des souvenirs de Beate Teresa Hanika a le parfum de ce que l’on dit insaisissable.
Impalpable.
Baigné dans une temporalité des plus troubles, il nous emmène partout et nulle part.
Jamais le récit ne se laisse attraper.
Et si, aussi magnanime que rapide, il nous octroie, comme un éclair striant le ciel, la possibilité de le saisir par une phrase ou deux, le voilà qui nous retire le pain de la bouche à peine celle-ci pleine.
Nous laissant un peu abattu, un peu perdu.
Et désespérément touchés.
*
Elisabetta Shapiro, quatre-vingts ans, vit seule dans sa maison familiale au cœur de Vienne. De son enfance, elle a conservé des dizaines de pots de confiture d’abricot. Tous sont soigneusement étiquetés et indiquent l’année de leur fabrication. Véritable madeleine de Proust, la confiture fait immanquablement jaillir les souvenirs : les jours tranquilles rythmés par les chants de sa mère, Franz, le voisin, dont elle était follement amoureuse, ses grandes sœurs qu’elle jalousait secrètement. Et puis la montée du nazisme dans les années 1930, l’arrestation de toute sa famille par les SS, la solitude et la perte des repères.
Quand Pola, une jeune danseuse, emménage chez la vieille dame, ses habitudes sont chamboulées. D’autant plus que Pola lutte elle aussi contre ses propres démons.
Malgré leurs différences, les deux femmes vont peu à peu se rapprocher et nouer des liens plus forts qu’elles ne l’auraient imaginé.
*
Sur le papier, rien de plus classique. Deux femmes, deux générations différentes, des secrets, des silences et la guerre.
Et un petit air de déjà vu, de déjà-lu.
Pourtant, ce roman est des plus singuliers. Dire qu’il fait s’entremêler les époques serait galvaudé. D’un paragraphe à l’autre, d’une phrase à l’autre parfois, il nous emmène avec lui dans les méandres des souvenirs de ses personnages.
La lecture en devient exigeante – et d’autant plus savoureuse. Elle nous oblige à être attentif. À goûter les mots, sentir leur poids. Et les silences qui se terre entre eux.
Elle nous attire aussi, nous tire par le bras vers des pourquoi et des comment.
Elle fait de nous des lecteurs intelligents et éveillés.
Il n’empêche que l’ensemble ne prend pas.
Ou plutôt, pas toujours. J’ai trouvé les personnages lointains, éthérés, presque inexistants. Difficiles à appréhender. De fait, il semblait impossible de s’attacher vraiment à eux.
Étant pourtant particulièrement friande de littérature contemplative, je dois avouer avoir plusieurs fois eu envie de secouer tout ce petit monde. Traumatisé certes, mais tout de même!
Le roman a ses exigences.
Et si le côté (plus que) décousu du récit a son charme et son sel, le revers de la médaille est tout aussi criant de vérité. Je n’ai pas toujours réussi à me plonger pleinement dans le récit, peinant à distinguer le lard et le cochon, me perdant parfois, et souvent avec un certain déplaisir.
J’ai trouvé, pour finir, le scénario un peu faible, les longueurs trop nombreuses et la résolution de l’intrigue franchement rapide.
Le goût sucré des souvenirs n’en reste pas moins une lecture intrigante, intelligente et originale qui mérite un œil jeté
et quelques battements de cœur.
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