Il y a deux jours, j’avais très envie de lire un roman « page-turner ». Tu sais, un de ces romans qui emplissent les kiosques à la gare, coincés entre deux magazines féminins ;
un de ces bouquins que les chroniqueurs littéraires se plaisent à détester et à détruire, bien sagement ;
un de ces livres que l’on a adoré lire, caché sous la couette, jusqu’à trois heures du matin, mais que l’on aime à décrier lorsque l’on est en public, parce que franchement, « ce n’est pas de la grande littérature, hein ! ».
Bref, un de ces romans que l’on adore honnir en France !
Alors comme tous les ingrédients semblaient réunis, j’ai entamé Le Livre des Baltimore de Joël Dicker. Et je n’ai pas été déçue. J’ai dévoré ses 500 pages en deux jours (et c’est vraiment parce que je devais travailler au milieu que cela ne s’est pas fait en cinq heures), je me suis endormie à quatre heures du matin la nuit passée, et je n’ai pas vu le temps filer le reste de ma journée, trop occupée à imaginer ce que j’allais être amenée à découvrir lorsqu’à dix-neuf heures, je rangerai mes outils pour me lover dans le canapé avec mon roman. Ce livre est définitivement le stéréotype du « page-turner », diantrement efficace, terriblement addictif, un rien jouissif disons-le.
Jusqu’au jour du drame, il y avait deux familles Goldman. Les Goldman-de-Baltimore et les Goldman-de-Montclair.
Les Goldman-de-Montclair dont est issu Marcus, le narrateur, étaient une famille de la classe moyenne, habitant une petite maison à Montclair, dans le New Jersey.
Les Goldman-de-Baltimore eux, étaient une famille prospère à qui tout souriait, vivant dans une luxueuse maison d’une banlieue riche de Baltimore, et à qui Marcus vouait une admiration sans borne.
Huit ans après le Drame, c’est l’histoire de sa famille que Marcus Goldman décide de raconter, lorsqu’en février 2012, il quitte l’hiver new-yorkais pour la chaleur tropicale de Boca Raton, en Floride, où il vient s’atteler à son prochain roman. Au gré des souvenirs de sa jeunesse, Marcus revient sur la vie et le destin des Goldman-de-Baltimore et la fascination qu’il éprouva jadis pour cette famille de l’Amérique huppée, entre les congés à Miami, la maison de vacances dans les Hamptons et les frasques dans les écoles privées. Mais les années passent et le vernis des Baltimore s’effrite à mesure que le Drame se profile. Jusqu’au jour où tout bascule.
Cela fonctionne, il n’y a pas à dire. L’intrigue se déroule sous tes yeux avec un naturel désarmant, les personnages se meuvent sous tes paupières avec une simplicité étonnante ; la moindre maison, le moindre bout de rue, le moindre café donne à ton imagination le moyen de s’exprimer avec fougue et joie ! Tu as de nouveau l’impression d’avoir 15 ans quand, alors que Netflix n’existait pas encore, tu te réjouissais de rentrer à la maison pour dévorer Harry Potter 4 ou Eragon.
Alors que tes yeux commencent à se fermer, tu te dis, « encore un chapitre, le dernier ! », et tu en enchaines cinq. Et c’est vraiment bon! Ou plutôt cela semble l’être. C’est du binge-reading somme toute ! Tu te régales, tu en redemandes, tu en reprends une gorgée, puis deux puis trois.
Et tu te réveilles le lendemain un peu écoeuré, un peu vide, sonné.
Car comme souvent, la médaille a un revers. En embuscade, derrière l’efficacité, se cachent des schémas un peu trop empruntés, des procédés un peu trop lus, des suspens un peu faux.
Tu sais, ces petits éléments qui émaillent ta série télévisée préférée pour t’engager à regarder l’épisode suivant : flash-back, ouverture de porte, regards angoissés, hurlement strident, baiser engageant…ces cases à cocher pour être certain que le lecteur entamera le chapitre suivant, et le suivant, jusqu’à la fin, qui arrivera trop tôt. Toujours trop tôt. Mais le problème de ces cases à cocher, de ces codes à respecter, de ces chemins à suivre, réside dans le fait que tout devient trop attendu, trop simple, trop lointain. On aime oui, mais cela ne nous touche pas. Les larmes ne montent pas, le rire ne pointe pas. C’est trop lisse, trop creux. C’est trop netflix.
La littérature n’a rien à voir avec cela. Ici, nul propos désobligeant, nul regard dédaigneux ou condescendant ; je serais bien incapable d’écrire le quart du tiers de ce que Joël Dicker a écrit là. Il est romancier, il n’y a aucun doute là dessus. Et sans doute un bon romancier. Mais je referme ce livre avec un sentiment de déjà-lu, de déjà-vu. J’ai l’impression d’avoir survolé cette lecture sans que cela ne soit ma faute : ce livre était écrit pour être survolé. Avec joie bien entendu, avec passion même parfois, mais sans réelle conviction. Le cœur n’y était pas, seul le côté addictif régnait.
Ce livre me laisse un sentiment mitigé.
Car je déteste les vaniteux qui aiment à détester pour le simple plaisir de détruire un roman qui a du succès. Je hais ces critiques qui se plaisent à condamner un livre pour le simple fait qu’il plaise, se mettant immédiatement au-dessus de la foule, bien au-dessus de cette plèbe qui s’amuse mais ne lit pas.
Personnellement, j’aime voir les gens lire ! A la gare, dans le train, sur la plage, dans un café, tout autour de moi. Qu’ils lisent Proust ou Camus, Marc Levy ou Guillaume Musso ! Car je suis persuadée que la lecture est un exercice, une activité qui demande de la patience, de la concentration, de l’humilité et de la rigueur. Et comme toute activité, il faut bien commencer quelque part. Et ce quelque part ne réside pas entre les pages de Céline ou de Balzac. Je crois que les page-turners sont une superbe porte d’entrée dans le monde des livres. Ils démystifient la lecture, la rendent joyeuse, simple, addictive, jouissive. Ils lui ôtent ses lettres de noblesse pour la rendre accessible ; et c’est absolument fondamental. C’est à nous ensuite, si le cœur nous en dit, d’aller plus loin, plus fort, de façon presque militante, de rechercher la difficulté, le questionnement, le doute. De ne pas se contenter du tout-cru, du prémâché.
Alors dévore Le Livre des Baltimore ou tout autre page-turner parce que c’est franchement bon ! Mais ne t’arrête pas sur cette lancée, va plus loin, plus lentement aussi, mais avec plus de cœur. Les page-turners sont comme un sas de décompression : on en a besoin, à chaque phase de la vie, mais c’est pour aller ailleurs et plus loin,
pour notre plus grand bonheur.
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