Ecoute cette chanson, écoute-la, en entier,
Ecoute bien ses mots, ses phrases.
Ecoute cette chanson,
Pleure-la,
Vie-la.
Aime-la, chéris-la.
(Et déteste-la aussi. un peu. peut-être).
https://www.youtube.com/watch?v=gQAUswb3moY
Et puis ensuite, une fois que tes larmes pointent, que ton cœur se serre, que tu te sens faillir, lis ce livre. Lis Le Livre que je ne voulais pas écrire d’Erwan Larher. Ne t’attarde pas trop sur tout ce que tu peux entendre à son sujet, ne cherche pas à être convaincu, tu n’en as pas besoin.
Tu n’as pas besoin de savoir que ce livre est « l’un des livres les plus puissants de la rentrée » (L’Humanité). Tu n’as pas besoin que l’on te dise que c’est « du grand art, une impressionnante leçon d’écriture » (Hugues Robert), ni même que « Le livre que je ne voulais pas écrire est le livre qu’il faut lire » (Le Point). Tu n’en as pas besoin parce que tu vas t’en rendre compte tout seul, comme un grand. Parce que tu ne seras sans doute plus tout à fait le même en le refermant. Ou même au bout de trois pages d’ailleurs. Et parce que…Dieu que c’est bien écrit ! C’est libre, attachant, envoutant, prenant, bouleversant. C’est tout ce que tu recherches et plus encore. C’est terrifiant aussi, glaçant souvent.
Peut-être que ce titre va te faire reculer. Tu y verras alors un énième bouquin de développement personnel, de ceux qui te font gerber de par le simple fait d’exister. Mais crois-moi, il n’en est rien. Tu as devant toi un beau roman, un superbe objet littéraire écrit avec une force indéniable. Ne t’arrête pas non plus au sujet. Un roman de plus sur le Bataclan ! On n’en veut pas, on n’en veut plus, on en a peur aussi ! Et puis tu te dis que, de la même façon que l’auteur a dû changer d’avis - puisque tu as Le livre que je ne voulais pas écrire entre les mains -, tu peux bien faire un petit effort aussi. Après tout, tu n’as rien à perdre. Et tu n’y perdras rien, crois moi.
« Je suis romancier. J’invente des histoires. Des intrigues. Des personnages. Et, je l’espère, une langue. Pour dire et questionner le monde, l’humain. Il m’est arrivé une mésaventure, qui est une tuile pour le romancier qui partage mon cerveau : je me suis trouvé un soir de novembre au mauvais endroit au mauvais moment ; donc lui aussi ».
Alors tu te lances. Chapitre 1.
« Tu écoutes du rock. Du rock barbelé de guitares et de colère. Depuis la préadolescence. Môme, il te fallait une autorisation paternelle avant de te servir de la chaîne stéréo. Inépuisable enchantement : le petit levier à pousser pour faire décoller le bras, qui porte en son extrémité la tête de lecture, tête que tu places, en fermant un œil pour plus de précision, au-dessus du bord du vinyle – le plateau s’est mis à tourner -, puis fais descendre, toujours à l’aide du petit levier, il s’agit de ne pas rater son coup, jusqu’à ce que le saphir se pose en craquotant sur le 33 tours. Quelques secondes et le son vibre d’une énergie magique, qui t’enlace comme si la musique t’étais immanente et que les grandes enceintes fabriquées par ton père se contentaient de la révéler ».
Et puis tu ne peux plus t’arrêter. Parce que l’horreur et la douceur se trouvent conjuguées avec une force nouvelle. Celle du romancier qui ne sait pas bien quoi faire de cette histoire et qui décide d’en faire un « objet littéraire ». Quelque chose de non-identifié. Quelque chose qui fait alterner les points de vue, les lectures, les personnes et les vécus. Quelque chose qui te soulève le cœur, te réduit aux larmes et te donne envie d’exister. Plus fort. Plus vite.
Tu ne liras dans Le livre que je ne voulais pas écrire aucun compte-rendu heure par heure de ce qui s’est passé au Bataclan, ce soir du 13 novembre. Erwan Larher ne te donnera pas d’avis. Il n’est pas sociologue, ni penseur, ni philosophe. Il ne se voit même pas comme une victime, juste un rescapé. Un homme touchant, empli de vie et d’humanité, un écrivain hors paire. Il se contente d’investir le support, de subvertir le médium, de faire émerger une fiction sans récit, bref, de faire un très bel objet littéraire, rien que ça…
N’aie pas peur du poids qu’il pourrait te faire porter ; car ce livre est d’une légèreté insoupçonnable. Difficile à comprendre d’ailleurs, mais c’est un fait. Tu passes du caillou à la biscotte, de la biscotte au chocolat chaud, des pâtisseries au caillou. Toujours lui. Toujours lui. Scène du caillou ? Inracontable, je te promets, mais terrifiante. Mais sublime.
Et tu assistes en direct à une reconstruction, physique et morale. Sans chichi, sans sensibleries. Quelque chose de puissant :
« Elle secoue la tête puis reprend, comme si elle avait eu une illumination :
- Est-ce que vous voulez bien qu’on essaie quelque chose ?
- D’accord.
- Mettez-vous dans la position dans laquelle vous étiez quand la balle est entrée.
- En chien de fusil ?
- Oui.
Elle place alors une main sur la cheville droite et une sur la fesse gauche de l’Ecrivain. Qui commence à haleter, à frémir. Les doigts posés sur la cicatrice d’entrée du projectile lui brûlent la peau ; la brûlure s’enfonce dans la chair. Il vibre de l’intérieur tandis que dévalent de longs sanglots. Sa fesse gauche n’est que lave incandescente. De longues minutes durant, il trépide, il pleure, il se consume. Puis tout se calme. S’apaise. Il a l’impression physique d’avoir retrouvé une fesse normale. Anne-Cécile semble aussi troublée que lui. Elle bafouille un peu en lui expliquant que…
- … votre corps n’avait pas compris que la balle était ressortie. Alors je l’ai retirée. Enfin…je n’ai pas terminé, je finirai lors de la prochaine séance ».
Avoir pris une balle ne donne pas plus de légitimité pour l’ouvrir, ni plus de clairvoyance. Mais il a quelques mots qui méritent d’être lus. Dans les dernières pages, sur notre société. Celle qui se trouve désarmée face au nihilisme ultime de celui qui est prêt à mourir, celle qui a peur, qui ne cesse de regarder derrière son épaule, celle qui commémore tout en votant pour le maintien d’un système qui fait son malheur. Elles sont douces à l’oreille ces fulgurances politiques et engagées ! Elles font frémir et donnent un peu de joie.
Alors crois-moi, il est grand temps de t’y plonger dans Le livre que je ne voulais pas écrire ! Il est en poche et se dévore en une nuit. Celle-là même que tu choisiras par désir d’être un brin changé le lendemain. Tu ne sais pas trop comment, tu ne sais pas trop pourquoi. Mais je crois ne pas être la seule à qui Erwan Larher a fait cet effet là. En quatrième de couverture, on lit qu’il écrit à la main, ce qui lui laisse peu de temps pour faire autre chose de sa vie. Alors on a envie de lui dire de continuer à ne faire que cela: écrire, construire, émouvoir et heurter. Faire pleurer un peu aussi, parce que c’est vraiment bon parfois.
« La littérature n’arrête pas les balles. Par contre, elle peut empêcher un doigt de se poser sur une gâchette. Peut-être. Il faut tenter de pari. »
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