Quel plaisir de se plonger dans un bon roman ! Un de ceux qui, on le sait, ne nous décevront pas. Parce qu’on connaît l’auteur, qu’on a déjà lu plusieurs ouvrages de sa main et que l’on part conquis d’avance.
On le sait, on va aimer ! On va s’y enfouir, s’y lover, on va se réjouir de la fin de journée pour pouvoir s’y blottir un moment et oublier l’instant présent.
Entre temps, on a appris que depuis notre dernière rencontre avec lui, l’auteur, Henning Mankell, était mort et que nous tenions entre les mains son dernier roman. Petit pincement au cœur. Surtout lorsque l’on se rappelle qu’il avait su nous émouvoir aux larmes dans Les Chaussures italiennes. On ne sait toujours pas pour quelle raison d’ailleurs. Ce n’est pourtant pas de la grande littérature comme on aime à le dire ! Et pourtant…
Pourtant on en avait pleuré la dernière fois. On était devenue autre et l’on avait grandi. Beaucoup grandi. On avait même eu l’impression que ce roman, il était écrit pour nous, pour nous faire comprendre quelque chose, pour nous faire avancer.
Et cela n’avait pas manqué.
Alors on a décidé d’en remettre une couche et de se plonger dans son ultime roman, Les bottes suédoises. Et si l’on n’a pas été touchée de la même façon, on a été franchement séduite et résolument reconnaissante. Parce que l’on n’avait pas été trahie.
Frederik Welin, médecin à la retraite, vit reclus sur son île de la Baltique. Une nuit, une lumière aveuglante le tire de son sommeil. Au matin, la maison héritée de ses grands-parents n’est plus qu’une ruine fumante. Réfugié dans la vieille caravane de son jardin, il s’interroge : à soixante-dix ans, seul, dépossédé de tout, a-t-il encore une raison de vivre ?
Mais c’est compter sans les révélations de sa fille Louise et, surtout, sans l’apparition d’une femme, Lisa Modin, journaliste pour la presse locale. Et tandis que l’hiver prend possession de l’archipel, tout bascule. Jusqu’à l’inimaginable dénouement.
C’est donc avec une immense joie que je retrouve Frederik Welin, Louise et toute leur clique, aux confins de la Suède, dans un roman qui, tout en faisant suite aux Chaussures italiennes peut se lire de façon tout à fait indépendante. (Mais, crois-moi, un passage par Les Chaussures italiennes ne te fera aucun mal! Ces deux romans se dévorent en quelques jours tout au plus, dans un mélange de bonheur et de fébrilité). Henning Mankell y dresse le portrait en clair-obscur d’un homme tenaillé par le doute, le regret, la peur face à l’ombre grandissante de la mort – mais aussi la soif d’amour et de désir -, d’un être amené par les circonstances à revisiter son passé et son destin tout en reprenant goût à la vie.
Henning Mankell nous livre une dernière œuvre d’une infime sobriété, poignante, et sans cesse traversée par la beauté crépusculaire des paysages. C’est simple, depuis que je lis Mankell, je rêve de Suède jours et nuits. Les grands espaces y sont décrits avec douceur, acidité et précision. On sent les vents froids qui hurlent contre notre peau, l’eau de la Baltique qui nous saisit et nous vivifie, on perçoit les immensités rocheuses qui rassurent et inquiètent tout à la fois et l’on se love dans la chaleur d’une caravane surchauffée au creux de l’immensité de l’hiver. On boit un petit verre de rhum en compagnie de Frédérik, on s’incline devant la perte de ce qu’il a de plus cher, on partage ses joies les plus infimes.
On se sent en famille entre les pages d’Henning Mankell et l’on se dit que de tels auteurs n’ont pas le droit de disparaître subitement, sans même nous prévenir.
Pourtant, ils nous ont laissé ce qu’ils avaient de plus beau, leurs mots, leurs phrases, leurs histoires. Et pour cela, on ne leur dira jamais assez merci.
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