Je suis persuadée que les mots peuvent brûler.
Enflammer un cœur, embraser une âme, comme un vulgaire bout de papier.
Ravager un corps, le réduire en cendres,
et leur donner des ailes
pour se voir dispersées.
Souvent, les mots ne suffisent pas, ils sont trop petits, trop sages. La réalité elle, semble démesurée, dure, sauvage. Alors on ne dit pas. On tait.
Et dans ce silence germe la mort. Indiscutable.
Parfois pourtant, sous la plume des grands, l’inénarrable prend corps. Ses os se couvrent de chair, ils s’échafaudent en mots et se vêtent de sigles.
Le silence alors s’emplit de bruits.
L’inracontable peut désormais trouver une voix.
Franck Bouysse compte parmi ces grands. Ces très grands.
Et cette histoire, parmi celles qu’on croit ne pouvoir raconter, l’horreur sachant trop souvent se passer de mots.
Mais il faut croire que la Littérature a des ressorts infinis et qu’au beau milieu des centaines de romans qui paraissent chaque année, se cachent parfois des trésors qui, une fois découverts, brillent,
inestimables.
Né d’aucune femme est de ces merveilles. Il nous renverse et nous force à admettre qu’il est encore possible de raconter l’inracontable.
Je suis souvent prolixe lorsque je critique un roman - la synthèse ne faisant pas partie de mes exercices de prédilection – mais je suis aujourd’hui confrontée au fait qu’aucun de mes mots n’aura le quart de la force que couve ce roman.
Mais comme je ne suis pas en mesure de l’acheter en une centaine d’exemplaires pour le distribuer à toutes les personnes qui me sont chères, je tente par ces quelques phrases de vous donner l’envie de faire vôtre ce roman dans un délais que je souhaite le plus court possible. Il est difficile d’en faire un résumé convaincant sans en déflorer l’histoire, alors peut-être devrais-je me contenter de dire que Franck Bouysse nous parle du long chapelet de ronces que fut la vie de Rose, par le prisme de carnets rédigés lorsque celle-ci était à l’asile. Nul besoin d’aller plus loin. Comme moi et comme nombre de lecteurs à ce jour, tu seras pris à la gorge dès les premières pages. Et il y a de grandes chances que tu ne puisses relever les yeux du livre avant de l’avoir terminé, hagard, sonné.
Ce roman relève de la perfection. L’écriture de F. Bouysse de la magie. Il nous livre un roman captivant, addictif, obsédant ; il nous emporte et ne nous laisse aucune échappatoire.
Parfois, lorsque l’on se retrouve face à un roman peu réjouissant, on le qualifie de « noir ». Ici, l’épithète prend tout son sens. Né d’aucune femme, c’est l’absence totale de lumière (outre celle qui réside au creux des mots de l’auteur). Alors que l’on a déjà le souffle coupé et le ventre serré, il nous assène un nouveau coup sur le plexus nous force à continuer la lecture.
« Ensuite, tout le monde est sorti en m’abandonnant, les bras et les jambes en croix. J’entendais de l’eau qui suintait du mur, quelque part derrière moi. Les larmes se sont mises à couler de mes yeux sans prévenir. Je sanglotais pas. Je pleurais même pas vraiment. L’eau sortait de moi naturellement, rien que l’eau sans rien d’autre à l’intérieur. J’aurais voulu qu’elle s’arrête jamais de couler pour que je me vide complètement, que je me dessèche comme une cosse de haricot oubliée, que tout ce qui était encore vivant en moi parte avec l’eau. »
La noirceur ici, n’est cependant pas dénuée de beauté. La langue de Bouysse, inimitable, se glisse à la perfection sous la plume de Rose, dans sa prose, avec ses mots. Les mots d’une jeune fille de 14 ans à qui l’inimaginable arrive. Des mots d’une force démesurée. A mesure qu’avec elle, nous sombrons dans des abysses de cruauté, les phrases s’emplissent d’une musique lancinante qui nous prend à la gorge et dont on appelle la fin de nos vœux. Cette beauté conjuguée au pluriel, soulignée par une magnifique photographie de couverture qui dit tout, donne naissance à un roman rare, sublime et puissant dont on ne sort pas indemne.
Les ressorts de la Littérature sont définitivement infinis.
« Surtout marcher droit devant. De toute son existence, il n’avait jamais vu un oiseau reculer. Seuls les animaux terrestres s’y résolvaient en maintes occasions, à croire que le contact avec la terre posait déjà la question de savoir s’il était vain ou non de s’en arracher entre deux pas. Et pourtant, il ravivait chaque matin le feu éteint de la veille, tout ce que l’on attendait d’un homme fait, parce qu’il savait au fond de lui que seuls les hommes sont des animaux terrestres, et les femmes et les enfants, des oiseaux. »
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