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Reine du réel, Nancy Huston.

Photo du rédacteur: loudeberghloudebergh

C’est un petit livre assez exceptionnel que cette dernière publication de l’admirable Nancy Huston! Une longue lettre pleine d’admiration, de sensualité et de rage à l’écrivaine et prostituée suisse Grisélidis Réal.


Je crois avoir plus ou moins tout découvert au creux de ces quelques 150 pages :

1. La plume exceptionnelle de Nancy Huston, juste, fine, grandiose.

2. La femme qu’était Grisélidis Réal, infiniment libre et toujours debout malgré les coups du sort et puis des hommes.

3. Son art – sa verve poétique notamment –, son incandescence.


« Longtemps je t’ai détestée, Gri. On eût dit que tu acquiesçais à tout ce que les hommes te demandaient. Tu semblais n’avoir aucun problème pour incarner leur fantasme : la pute au grand cœur, celle qui aime ça, celle qui comprend les messieurs et ne les juge jamais, celle qui accepte avec le sourire leur tout et leur n’importe quoi. »


*


Grisélidis Réal, écrivaine et prostituée suisse, a fui le milieu où elle est née, bourgeois, calviniste et rigide, pour mener une vie libre. Une vie marquée par des histoires avec des hommes violents, des dizaines de milliers de relations tarifées, quatre enfants placés, des fausses couches, mais une vie illuminée par l’art et l’engagement militant au nom des travailleuses du sexe.

Poétesse magnifique, figure rebelle et courageuse, Grisélidis Réal fascine Nancy Huston qui, malgré quelques désaccords, se retrouve beaucoup en elle. À l’aune de son destin, elle questionne le sien, son rapport à la mère, aux hommes, au danger.

Véritable déclaration d’admiration, cette lettre révèle une grande artiste de la fin du XXème siècle dont la modernité de pensée annonce les débats contemporains.

Un texte résolument féministe, qui interroge avec puissance le rôle du corps féminin dans l’écriture et le rapport au monde.


*


J’ai découvert ce texte sur les ondes de la RTS, dans la très passionnante newsletter « livres » de RTS Culture. Tout ce que Nancy Huston exprimait dans cette interview avec Nicolas Julliard me frappait au plus haut point.

Parce qu’elle donnait à voir une femme à côté de laquelle j’étais totalement passée d’abord, mais aussi et surtout parce que ses propos au sujet de Grisélidis Réal et de la vie en général se révélaient d’une terrible intelligence.

Ses mots résonnaient en moi de la plus douce des manières, comme s’ils avaient été écrits pour tomber sous mes yeux en cet hypothétique jour.

Le lendemain, je trouvais Reine du réel de Nancy Huston sur l’étagère des nouveautés de ma chère bibliothèque. Je l’empruntais.

Début du voyage.


« Grisélidis, reine du réel.

Avant toi, me semble-t-il, personne n’avait embrassé avec tant de lucidité le tout de la vie humaine, de la naissance à la mort en passant par la sexualité, la nourriture, la maladie, l’enfantement, l’art et le désespoir. Ni Jésus ni Confucius ni Bouddha ni Sophocles ni Shakespeare ni Primo Lévi ni Gary ni Césaire ni Arendt ni Lennon ni Beauvoir ni Soyinka ni ni ni ni, car ces grands esprits n’avaient pas porté dans leur corps et mis au monde plusieurs enfants, et vu mourir plusieurs autres, noyés dans le sang d’une presque-mais-pas-tout-à-fait naissance. Ils n’avaient pas reçu dans leur lit et leurs bras cent mille individus dissemblables, et cherché à les comprendre dans le détail, ce détail fût-il puant, délirant, sublime, fragile, chaud, infantile, débile. Toi si. »


Si comme Nancy Huston, j’ai parfois été gênée par les partis pris, souvent volontairement choquant, purement provocant – mais toujours inexcusables (je pense notamment à cette fois où elle a trahi la confiance de sa fille Léonore, ou à ses allusions à une pédophilie jugée acceptable) – de sa reine du réel,

je dois admettre avoir été passablement impressionnée par la vie de cette « pute au grand cœur ». Une vie en prise avec l’humanité tout entière, avec sa laideur, son caractère miraculeux, ses dégoûts.

Une vie emplie de tout ce qui mettrait n’importe quel être humain à genoux et qui, pourtant, a élevé Grisélidis Réal à un niveau jamais atteint.

Une vie terrifiante de vie, sans concession ni commune mesure.


J’ai parfois trouvé les parallèles que faisait Nancy Huston avec sa propre vie maladroits ou inutiles, mais je ne peux que reconnaître les immenses qualités de ce petit livre : sa rage, sa poésie, son empathie et sa passion.

S’adressant à une femme comme Gri, cela me semble être une juste rétribution.


Vous l’avez compris, je ne peux que vous conseiller de vous jeter dans cet ouvrage sensible et puissant, vous en apprendrez beaucoup, goûterez une langue merveilleuse, et rencontrerez une femme qui a peut-être eu mille vies quand nous nous contentions de nous débattre avec la seule qui nous avait été offerte.



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Louise DE BERGH, Chardonne. 

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