L’écriture de Françoise Sagan a la couleur du lac Léman un soir d’été.
Azuréenne,
Changeante,
Timide et grandiose tout à la fois.
Elle irradie de mille feux,
Mais ne se laisse saisir qu’à coups de grandes lampées rafraichissantes.
Elle est d’une simplicité confondante et d’une richesse insoupçonnée,
Elle a l’éclat d’une grande dame et la souplesse d’un nouveau-né.
Chatoyante, miroitante,
Toujours là où l’on ne l’attend pas.
Un rien surannée, un tantinet vieillotte,
Et définitivement moderne.
Et lorsqu’on y trempe le bout de son pinceau, que l’on en badigeonne une feuille de papier blanc, il me semble que c’est l’infini qui se dessine.
Tranquillement. Calmement.
Par une douce soirée d’été.
Quelques lignes suffisent à en dresser le synopsis. Gilles, un journaliste parisien, célibataire et papillonnant, est victime d’une dépression nerveuse. Il décide de s’arracher à son milieu agité, alcoolisé et futile pour trouver refuge chez sa sœur dans le Limousin. Là, il séduit une femme de la grande bourgeoisie de Limoge, Nathalie Sylvener qui l’aide à guérir et abandonne tout pour lui.
Mais que deviendra leur amour lorsque Gilles retrouvera Paris, son journal, ses bonnes et ses mauvaises fréquentations, son irresponsabilité foncière ?
« Il n’avait pas envie de lui expliquer, de lui raconter l’affaire Garnier. Il n’avait envie d’en parler qu’à Nathalie. Peut-être que l’amour pouvait se résumer ainsi : l’envie de ne rien raconter qu’à une seule personne. »
Du Sagan tout craché pense-t-on immédiatement !
Et c’est indéniable. Mais derrière, se cache une voix plus froide, plus grave, plus dépouillée. Est-ce lié à l’introduction de ce « corps étranger » dans le registre de la romancière que représente Nathalie ? Cette femme qui incarne la passion à elle seule ? La beauté ? L’absolu ? Les vertus de la province comme on disait alors ?
En tous les cas, il y a du panache au cœur de cette lecture, un caractère bien trempé porté par un style inimitable, capable de nous entrainer au plus profond de l’âme de ses personnages. Derrière leur apparente puérilité, leur noblesse de façade, se cachent des êtres complexes, traversés de milles émotions, envahis de doutes et d’incertitudes, de remords et d’ardeur.
Mais si l’on retrouve avec plaisir le petit Paris de Sagan, décrit avec un mélange de tendresse d’humour et de détachement, sa frivolité se trouve remise en question, attaquée même parfois, moquée souvent.
« Aujourd’hui, le monde était à lui. Il avait envie de champagne, c’était idiot le champagne avec la choucroute mais ils burent du champagne ».
Quelques lignes seulement, et on a l’impression de l’entendre. Avec sa voix emportée, bégayante, effarouchée. Normal me direz-vous, Sagan n’écrivait pas ses romans, elle les dictait à une secrétaire.
Quoi de plus merveilleux pour transformer ses mots en une myriade de papillons aussi sincères que sauvages ?
Alors on se délecte de cette simplicité apparente, des cette frivolité de façade, de cette légèreté tape à l’œil et l’on plonge avec délice dans les déboires de Gilles, ses malheurs, ses folies et sa liberté inutile. On s’irrite de cette Nathalie un peu trop bien, de cette Odile un peu trop sage, de ce Jean un peu trop bête. Mais surtout, on s’émerveille de l’amour que se portent ces deux êtres, un amour transcendant, magnifique, impressionnant.
Parce que sous la plume de Françoise Sagan,
Le monde a une couleur qui n’existe nulle part ailleurs.
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