Sublime royaume, Yaa Gyasi.
- loudebergh
- il y a 15 minutes
- 3 min de lecture

Sublime royaume de Yaa Gyasi est un livre d’une grande finesse. Superbement narré, il se lit avec émotion et douleur, la tête légèrement penchée, le front bas. Intelligent sans être obscur, solide sans être brutal, sensible sans être larmoyant, il dit la tristesse insondable, les souvenirs d’enfance, les croyances ancestrales et le racisme systémique. Il dit ce que c’est, aujourd’hui encore, qu’avoir la peau noire en Amérique.
J’ai lu ce livre juste après avoir terminé le dernier né de Chimamanda Ngozi Adichie, et en même temps que le deuxième opus des mémoires de bell hooks et croyez-moi, il a résonné si fort avec ces deux textes que c’en était troublant. J’ai plusieurs fois dû faire l’effort conscient de me rappeler dans laquelle de ces narrations j’étais plongées, tant les récits étaient communs et les injustices partagées. Être noir.e dans une société encore éminemment raciste – rappelons-le, « une société est raciste ou ne l’est pas. Il n’existe pas de degré au racisme », Franz Fanon – constitue toujours une expérience dont il faut être blanc.he, aveugle ou de mauvaise fois pour en nier le caractère violent et réducteur.
*
Gifty, américaine d'origine ghanéenne, est une jeune chercheuse en neurologie qui consacre sa vie à ses souris de laboratoire. Mais du jour au lendemain, elle doit accueillir chez elle sa mère, très croyante, qui n’est plus que l'ombre d'elle-même et reste enfermée dans sa chambre toute la journée. Grâce à des flashbacks fort émouvants, notamment sur un frère très fragile, nous découvrons progressivement pourquoi la cellule familiale a explosé, tandis que Gifty s'interroge sur sa passion pour la science si opposée aux croyances de sa mère et de ses ancêtres.
*
Sublime royaume raconte la perte d’un frère dans les affres de l’addiction, les déshérences d’une mère aussi dans la tristesse sans nom. Celle de l’oubli de soi, l’effacement dans le travail, le besoin de contrôle, la peur de l’attachement.
J’ai passé toute la première moitié du roman – tout en me passionnant pour l’intrigue – à rester très extérieure aux personnages qui en peuplaient les pages. J’avais le sentiment de ne pas parvenir à entrer dans leur intimité, restant en surface de ce qui m’était raconté. Et puis j’ai lu la deuxième moitié d’une traite. Et non seulement j’ai compris cette distance – elle m’a immédiatement paru comme seule capable de nous faire toucher du doigt cet état d’absence émotionnelle dans lequel s’était glissée Gifty à la suite du drame qui fut celui de sa famille – mais je l’ai trouvé cela admirable, et diablement bien mis en scène. Gifty n’était plus cette étrangère un peu froide que je peinais à saisir : elle était la jeune femme, pleine de cicatrices et de bonne volonté, à laquelle j’ai souvent pu m’identifier.
Maman je t’en supplie, dis-je en twi. Je te supplie d’arrêter. Je te supplie de te réveiller. Je te supplie de vivre.
Les derniers chapitres m’ont émue aux larmes. Je voyais dans la relation entre cette mère et cette fille tant d’amour et tant d’empêchement. Un déchirement, une impossibilité à vivre, à aimer vraiment, mais un art de prendre soin, avec ce que la vie leur avait appris, à force de coups durs et d’abandons.
Sublime royaume est un roman d’une grande subtilité, capable de traiter de thèmes aussi vastes que la santé psychique, l’addiction, les parcours migratoires, le racisme, la science et la religion dans une langue juste, sensible et intelligente.
Commentaires