Agathe d’Anne Cathrine Bomann est un roman d’une délicatesse absolue.
D’une sobriété infinie. D’une fragilité grandiose.
Subtile, raffiné, éthéré, il a quelque chose de la broderie. Fine, envolée. Chevillée sur la trame soignée de l’étoffe musquée.
Quelque chose de la plume de geai aussi, virevoltante dans les vagues de la brise hivernale.
C’est un roman qui pourtant, ne paye pas de mine.
Il a la blancheur de la neige et la finesse du temps qui passe.
Mais il irradie. D’une lumière opalescente. Terriblement puissante, immaculée.
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Soixante-douze ans passés, un demi-siècle de pratique et huit cents entretiens restant avant la fermeture de son cabinet : voilà ce qu’il subsiste du parcours d’un psychanalyste en fin de carrière. Or, l’arrivée imprévue d’une ultime patiente, Agathe Zimmermann, une Allemande à l’odeur de pomme, renverse tout. Fragile et transparente comme du verre, elle a perdu l’envie de vivre. Agathe est l’histoire d’un petit miracle, la rencontre de deux êtres vides qui se remplissent à nouveau.
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Cent-soixante pages de psychanalyse. Pas bien vendeur me direz-vous !
Et pourtant. Il y a entre ces lignes plus d’intelligence et de tendresse que dans le regard du merveilleux Vieillard de Ghirlandaio (1490, conservé au Louvre).
Il y a ce je ne sais quoi capable de transformer un roman en chef d’œuvre.
Cette grâce, cet esprit,
comme sculpté pour déplacer des montagnes.
Celles de nos angoisses et de nos peurs.
De nos doutes et de nos incapacités à vivre.
« Plus tard, assis dans mon fauteuil avec la couverture sur les genoux, je laissai les heures s’écouler tout en écoutant la musique et en remplaçant mécaniquement l’aiguille du gramophone sur le départ. Ma main bougeait d’elle-même, si bien que le fait de déplacer l’aiguille devint partie prenante de l’œuvre, une façon de reculer le temps qui, dans le même mouvement, le poussait vers l’avant. »
J’ai goûté chaque ligne de cette histoire,
Et aimé chacun des personnages.
Quelle n’a été ma tristesse hier soir, lorsqu’au détour d’une page, j’ai réalisé que déjà, c’était la fin. Que cet homme et cette femme qui m’étaient devenus si intimes, étaient voués à rester accrochés à la blancheur du papier.
Figés dans le marbre du roman.
Je n’ai cessé, une fois le livre terminé, de le rouvrir pour relire une page, m’imprégner d’une ligne, inspirer l’oxygène d’un paragraphe.
« Pathétique ! Je suis exactement comme eux, pensai-je, et je sortis pour accueillir la première patiente du jour avec un cognement dans la hanche et un chagrin vibrant sous les côtes. »
Alors j’imagine que s’il m'a été si douloureux de quitter Agathe d’Anne Cathrine Bomann, c’est qu’un moment ou un autre, le jeu en a sacrément valu la chandelle.
Et le fait qu’il ait déjà été traduit en une vingtaine de langues prouve que je ne suis pas la seule à en être convaincue.
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