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  • Photo du rédacteurloudebergh

Le gardeur de troupeaux, Fernando Pessoa.


C’est la première fois que je lis de la Poésie.

Et quand je dis « lis », entendez « vis »,

car bien sûr j’ai étudié des poèmes à l’école, au collège puis au lycée, j’ai présenté des textes de Baudelaire, de Rimbaud ou de Verlaine, rédigé des « commentaires » à leur propos – quelle folie, me dis-je en l’écrivant – et appris par cœur des vers pour les réciter devant une trentaine d’âmes trop jeunes pour les entendre vraiment.

Mais jamais je n’avais vraiment lu d’œuvre poétique pour moi.

À voix haute, dans le silence de ma chambre et le brouhaha de la rue.

Jamais je ne me l’étais autorisée.

Ça n’était pas pour moi.

Je n’avais pas le niveau.

Je n’en étais pas capable.


Et puis j’ai entendu Baptiste Beaulieu parler de Fernando Pessoa et du recueil Le gardeur de troupeaux. Je l’ai entendu dire que ses mots l’avaient sauvé.

Littéralement.

Et si le terme peut paraître galvaudé, emphatique et ronflant, j’y ai cru dur comme fer.

J’ai couru à la librairie pour me le procurer. Par chance, l’édition disponible était absolument magnifique : un beau recueil blanc cassé aux pages épaisses, fin d’à peine un centimètre, près à se loger dans mon sac, entre deux autres livres non moins beaux.

Ne me restait plus qu’à m’y plonger, avec quelques craintes et beaucoup de bonheur.


« Et je suis triste comme un coucher de Soleil

Pour nos rêveries,

Quand on le voit disparaître, là-bas au loin

Et qu’on sent déjà entrer la nuit

Comme un papillon par la fenêtre ouverte.

Mais ma tristesse est tranquille

Elle est naturelle et juste

Comme doit être une âme

Quand elle sent qu’elle existe ;

Alors les mains cueillent des fleurs

Sans qu’elle s’en aperçoive. »

Et pour la première fois de ma vie, j’ai senti que quelque chose se brisait dans mon cœur. Une croute épaisse et sale. Cachant un magma bouillonnant. Sur mes joues coulaient d’authentiques larmes venues des tréfonds de mon âme. Voilà que j’avais accès à quelque chose de nouveau. Comme si je découvrais une nouvelle pièce dans la maison que j’habitais depuis près de trente ans.

Je ne croyais pas cela possible et pourtant…

« Mais je ne veux pas toujours être heureux.

Il faut être de temps en temps malheureux

Pour pouvoir être naturel…


Il n’y a pas que des jours de soleil,

Et quand la pluie manque trop, on la réclame,

C’est pourquoi je prends malheur et bonheur avec naturel

Comme celui qui ne s’étonne pas

Quel y ait des montagnes et des plaines

Qu’il y ait des rochers et de l’herbe…

Ce qu’il faut, c’est être naturel et calme

Dans le bonheur ou le malheur,

Ressentir comme on regarde,

Penser comme on marche,

Et quand on va mourir,

Se souvenir que le jour meurt,

Que le couchant est beau et que belle est la nuit qui reste…

Et que si c’est ainsi c’est parce que c’est ainsi… »


*


Le gardeur de troupeaux, ce sont des mots très simples pour dire l’essence des choses. Des mots bercés d’innocence, de justesse et de vérité. « Un exercice vers la non-pensée » comme le dit Olivier Liron, « vers l’expérience spirituelle » à proprement parler.

« Je n’arrive même pas toujours à ressentir ce que je sais que je dois ressentir.

Ma pensée ne traverse à la nage que très lentement la rivière

Tant lui pèse le costume que les hommes lui ont fait porter. »

Et comme Fernando Pessoa, en refermant le recueil, j’ai senti à nouveau « la vie couler en moi comme un fleuve dans son lit.»



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