
J’étais au volant de ma voiture lorsque j’ai appris à la radio que le dernier roman de Jón Kalman Stefánsson venait de paraître.
À la seconde même où l’information a égratigné la croûte de ma conscience, j’ai bifurqué: direction la librairie la plus proche.
Chaque nouvelle parution de l’auteur islandais constitue pour moi une véritable joie. Des papillons s’agitent dans ma poitrine à l’idée même de mettre sous mes yeux les mots d’un des plus grands poètes que la terre islandaise porte.
Mais une fois le livre entre les mains, je constatais (avec une certaine déception) le changement d’éditeur de la traduction française. Si j’aimais infiniment les couvertures toutes en poésie des Editions Grasset, je trouvais à celle choisie par Christian Bourgeois - bien que fort à propos - quelque chose de trop littéral.
Et voilà ce, qu’au dos, je voyais figurer:
Un écrivain qui ressemble beaucoup à Jón Kalman Stefánsson aperçoit Paul McCartney dans un parc londonien, en août 2022. L’ancien Beatles est le héros de sa jeunesse, et le narrateur rêve de lui parler. Mais il lui faut d’abord préparer cette conversation, trier ses souvenirs, mettre de l’ordre dans l’écheveau d’émotions et de récits de toute sorte qu’il aimerait partager avec son idole.
C’est donc à ce voyage dans le temps que nous invite Mon sous-marin jaune. À commencer par l’histoire d’un jeune garçon qui apprend au détour d’une phrase que sa mère vient de mourir. Quelque mois plus tard, il passe l’été dans la famille de sa nouvelle belle-mère. La beauté sauvage des fjords de l’Ouest sera un puissant antidote contre la solitude, le chagrin et le silence pesant de son père. L’enseignement biblique, au contraire, le met en colère et lui fait comprendre qu’il devrait chercher les réponses ailleurs. Beaucoup plus tard, ce sera grâce aux livres piochés à la bibliothèque municipale qu’il se mettra à comprendre dans quelle direction il voudrait diriger sa vie.
Dans un récit où les lieux et les temporalités cohabitent, nous croisons un chauffeur de taxi fou, un moniteur d’auto-école au cœur fragile, ou encore Ringo Starr transformé en évêque médiéval, et c’est seulement la folie créatrice du romancier qui permet d’en faire son livre le plus audacieux et sans aucun doute le plus ouvertement autobiographique. Ce nouveau roman, ajoute l’éditeur, nous offre l’occasion de saisir la quintessence de toute son œuvre.
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Oh non, me suis-je dit en regagnant ma voiture, il y est question de musique ! Et même si c’est relativement fréquent dans les textes de l’auteur islandais, sa place prépondérante dans Mon sous-marin jaune me chagrinait. Car pour une raison que j’ignore encore, je n’arrive pas à faire mien les romans entre les pages desquels la musique est reine et protagoniste. Comme si j’étais incapable de parler leur langue. Qu’à la poésie de leurs mots ne pouvait s’ajouter celle de mélodies.
Pourtant, laissant derrière moi ce deuxième apriori, je m’empressais de terminer les deux livres que j’avais en cours (Un si gros ventre de Camille Froidevaux-Metterie et Les sœurs d’Hippocrate de Jean-Noël Fabiani - excellents tous les deux, soit dit en passant), pour m’atteler au dernier né de Jón Kalman Stefánsson.
Mais j’avoue de pas avoir retrouvé la magie dont ses romans précédents (que j’ai tous lus, sans exception!) étaient revêtus. Si la langue était toujours aussi belle, intrigante et recherchée, j’avais le sentiment de quelque chose de beaucoup plus « extirpé ». Comme si les mots couchés sur le papier résultaient d’une immense douleur doublée d’un regard incessant sur ce qu’ils signifiaient. J’y voyais une forme d’acharnement, quelque chose de moins sensible (malgré le caractère éminemment personnel de ce dernier roman) que dans ses précédents textes, de plus terne et de moins libre. Comme si cette fois, et peut-être à cause de ce côté autobiographique, l’auteur s’était regardé écrire.
Pourtant, je n’ai pu m’empêcher de m’émerveiller, tout au long de ma lecture, des centaines de phrases dont l’auteur islandais a le secret: spirituelles, sensibles, capables de faire voler en éclat une vie, et transpercer un destin. Nombreuses sont encore celles que je garde contre mon cœur, gravées dans la chair de ma mémoire et le terreau de mes pensées.
Ce sont des phrases qui aident à vivre, car après tout, « C’est en nous que demeure ce qui commande la vie ».
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