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  • Photo du rédacteurloudebergh

Belle du Seigneur, Albert Cohen.


Si, à la suite d’un désastre quelconque,

- incendie dévastateur ou déluge planétaire -,

il ne devait rester qu’un roman,

un seul roman,

Je prie le ciel et puis la terre que ce soit celui-là :

Belle du Seigneur d’Albert Cohen.


Plus de mille pages de rage et de passion,

de larmes et de langueurs.

Mille pages ahurissantes de grâce,

de fougue et de tourments.

Mille pages peinturlurées de folie

Drapées dans rien de moins que la plus belle langue qu’il m’ait été donnée de lire.


Certains diront qu’elles sont datées,

surannées,

qu’elles fleurent la naphtaline et le pétrole lampé,

Mais personne ne saurait remettre en cause leur insondable beauté, leur glorieux mystère, leur effroyable intensité.


*


Belle du Seigneur, c’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui s’aiment au-delà de toute raison. Exclusivement. Magnifiquement.

Qui s’aiment comme ils n’ont jamais aimé. D’un amour des plus purs. De celui pour lequel il n’existe pas de mots.


« Solennels parmi les couples sans amour, ils dansaient, d’eux seuls préoccupés, goûtaient l’un à l’autre, soigneux, profonds, perdus. Béate d’être tenue et guidée, elle ignorait le monde, écoutait le bonheur dans ses veines, parfois s’admirant dans les hautes glaces des murs. »


Mais c’est aussi l’histoire d’une déchéance.

Car aux délices de l’attente et des baisers enflammés succèdent l’ennui, la jalousie et la colère. Mères de tous les vices, sources de tous les maux.

Alors l’amour devient pesant, dévastateur, impossible.


Et toujours plus ardent aussi. Plus incapable.


Roméo et Juliette des temps modernes, Ariane et Solal s’aiment,

à n’en plus pouvoir s’aimer,

à n’en plus pouvoir vivre.


« Il sait que dans un an, ou plus tard, ou plus tôt, ce sera le suicide, et pourtant il mange tranquillement ses croissants, avec beaucoup de beurre et de marmelade. Dommage qu’il n’y ait pas le pot d’origine de la marmelade, avec l’officier écossais de l’étiquette. C’est intéressant de regarder l’image de l’étiquette tout en mangeant, ça tient compagnie. »


*


Je crois avoir plus ou moins tout entendu au sujet de ce roman, lorsqu’au détour d’un regard ou d’une conversation, Belle du Seigneur venait s’immiscer dans l’œil ou la bouche de mon interlocuteur :

- « Oh mon dieu, tu lis Belle du Seigneur ! Comment tu fais ?! Je n’en suis jamais venu à bout ! Quel ennui ! »,

- « Mille pages ? Non, mille cent pages ? Où il ne se passe rien, si ?»,

- « Il est sorti en 1968 ce bouquin, tu te rends compte ? Comme s’il n’y avait pas autre chose à lire en 68 ! ».


Deux possibilités donc :

1. Je suis complètement à côté de mes chaussures pour le dire joliment / pas née à la bonne époque / sélectionnez la proposition de votre choix.

2. Toutes ces personnes (elles ont été des dizaines ces dernières semaines à m’interpeller lorsqu’elles voyaient le roman entre mes mains) n’ont jamais ouvert Belle du Seigneur.


Car je mets quiconque au défit de parvenir à poser le roman – ne serait-ce que d’en détacher le regard - entre la page 633 et la page 800. Et entre la page 1 et la page 1100 d’ailleurs, mais ça, c’est une autre affaire.


*

Tout est annoncé et pourtant ! Chaque événement nous surprend et fait frétiller notre cœur. Avide de sensations. A l’affût de l’Emotion. La grande, la belle, celle qui emplit les poumons et fait perdre la tête.

Croyez-moi, il y a plus de rebondissements entre les pages de ce roman que dans tous les thrillers nordiques publiés ces vingt dernières années réunis - rebondissements de l’âme compris, entends-je !


J’en ai aimé toutes les lignes. Les grandiloquentes et les murmurées, les inventives et les cyniques,

les affligées des plus sombres petitesses et adorables misères.

Toutes magnifiques d’oralité et de regards qui frisent.

Que du beau, de l’admirable,

Saupoudré de ce que le tragique a de plus délicieux.


« Interminable et osseuse, étendue sur son lit, ses mains aux brunes verrues croisées sur sa poitrine, Mme Deume faisait sa sieste tardive, ronflant avec certitude et légitimité, ses dents obliques couchées sur le pâle traversin de la lèvre inférieure. Brusquement réveillée, elle se débarrassa de la courtepointe et, accompagnée de ses ongles incarnés, se leva en déshabillé peu galant mais judicieux. »



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