La liste de mes envies de Grégoire Delacourt se lit d’une traite, dans un souffle, un instant. C’est un roman sensible et émouvant, qui fleure bon la vie, les petits bonheurs et les joies invisibles. Il a quelque chose de terriblement honnête, de simple, sans fioriture et est porté par une écriture aussi délicate que sans prétention.
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Voilà comment, en quelques lignes, les éditions JC Lattès présentent l’ouvrage:
Lorsque Jocelyne Guerbette, mercière à Arras, découvre qu’elle peut désormais s’offrir ce qu’elle veut, elle se pose la question : n’y a-t-il pas beaucoup plus à perdre ?
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C’est la question à un milliard : que ferions-nous si nous gagnions au Loto ? Si du jour au lendemain, nous nous trouvions en possession d’un chèque de plus de dix-huit millions d’euros ? Si nous pouvions, d’un coup de baguette magique, transformer la vie que nous menions depuis quarante ans ?
Vous l’avez compris, c’est ce qui est arrivé à notre héroïne, Jocelyne, une femme simple que les années avaient ébranlée autant que grandie. Une femme pleinement consciente de la préciosité de ce qu’elle possédait (une famille, des amis, un mari qu’elle aimait), lucide quant à beauté de sa vie malgré son apparente banalité et sa grandiose routine.
Très vite, de fait, le pressentiment s’était fait prégnant, angoissant :
il n’y avait rien de bon dans cette somme phénoménale.
Elle le sentait, on l’avait alertée : la convoitise brûlait tout sur son passage.
Même ce que l’on croyait ignifuge, solide, intouchable.
Alors Jocelyne avait hésité. Elle s’était tue.
Attendant.
Trop longtemps.
Que le drame se faufile dans les interstices de ses jours.
C’était aussi bête que prévisible, aussi triste que banal.
Et cela l’avait tuée à petit feu.
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Si j’ai trouvé la narration très bien construite, les mots de Grégoire Delacourt parfaitement choisis et les idées qu’il véhiculait d’une grande beauté, j’ai à de (très) nombreuses reprises été gênée par le côté « daté » du roman.
La liste de mes envies sent le mal séché, le vieillot, le dépassé. Le personnage de Jocelyne est engoncé dans des stéréotypes genrés, une passivité déroutante, des désirs terriblement vains, entièrement tournés vers la satisfaction de ceux de son mari. On est loin de me too ! et des réflexions qui en ont émergé.
Je n’ai pu m’empêcher de relever quelques phrases qui m’ont faite bondir. Voyez plutôt :
Page 30:
« J’avais cent fois, mille fois rêvé de ce moment où un homme m’inviterait, me convoiterait. J’avais rêvé d’être ravie, emportée loin dans le feulement d’une automobile rapide, poussée à bord d’un avion qui volerait vers les îles. »
Page 49:
« Je resterais là parce que Jo a besoin de moi et une femme a besoin qu’on ait besoin d’elle. »
Et sachez que ce genre de phrase innerve complètement le récit. On sent que c’est un homme qui a écrit La liste de mes envies, et un homme qui s’embarrasse peu de donner un autre corps (dans toutes les acceptions du mots) à son personnage féminin que celui que la société s’est chargée de façonner au fil des siècles, bardé de désirs qui ne sont que ceux que l’on veut bien lui octroyer. Ce n’est pas pour rien que le roman préféré de Jocelyne n’est autre que le terriblement misogyne Belle du Seigneur d’Albert Cohen. La boucle est bouclée somme toute.
Cette considération – qui n’est pas des moindres – a franchement nui à ma lecture. Et si j’avoue avoir été touchée par la fin du roman, aussi sensible que terrible, je n’ai pu apprécier pleinement cette histoire, trop fardée, trop dépassée, définitivement démodée.
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