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Lire Lolita à Téhéran, Azar Nafisi.

  • Photo du rédacteur: loudebergh
    loudebergh
  • 28 mai
  • 5 min de lecture

" Je lui ai expliqué que je voulais écrire un livre par lequel je remercierais la République islamique de tout ce qu’elle m’avait appris, par exemple à aimer Jane Austen, Henry James, les glaces et la liberté. J’ai dit : « Cela ne me suffit maintenant plus d’apprécier tout cela. Je veux faire un livre. » Il a dit : « Tu n’arriveras pas à écrire sur Jane Austen sans parler de nous, de ce pays où tu l’as redécouverte. Tu n’arriveras pas à nous faire sortir de ta tête. Essaye, tu verras bien. La Jane Austen que tu connais maintenant est irrémédiablement liée à cette terre, ses paysages, les arbres qui t’entourent. Tu ne penses quand même pas qu’il s’agit de la même Jane Austen que celle que tu as étudiée avec M. French, car c’était bien lui, n’est-ce pas? Mais de la Jane Austen que tu as lue ici, dans un pays où le directeur de la censure cinématographique est presque aveugle, dans un pays où l’on pend les gens dans les rues, dans un pays où l’on met un rideau dans la mer pour séparer les hommes des femme. » J’ai dit: « En parlant de tout ça, peut-être arriverai-je à me débarrasser de ma colère, peut-être deviendrai-je plus généreuse". 


Indubitablement vous l’avez été, Madame Nafisi. Généreuse en diable! 

Dans vos enseignements comme dans ce texte que j'ai acheté sur un coup de tête. Un acte d’achat comme une nécessité.

Rencontré par hasard sur une table de librairie, voilà qu’il me fallait le mettre sous mes yeux. Le dévorer, l’annoter, le digérer. Rien n’avait autrement d’importance. Ce livre était devenu mon phare, celui qui guiderait mes deux prochaines semaines. Oui, deux semaines, parce que cet ouvrage est dense et qu’à ses côtés je n’ai cessé d’ouvrir mille et un livres pour comprendre. 

Le comprendre. 


*


Pour avoir refusé de porter le voile, Azar Nafisi doit quitter l’université de Téhéran, où elle enseignait la littérature. Elle décide alors de réunir sept de ses étudiantes pour des cours clandestins dans l’intimité de son salon. Qu’elles soient conservatrices ou progressistes, croyantes ou laïques, elles vont débattre ensemble de Lolita de Nabokov, Gatsby de Fitzgerald, Orgueil et Préjugés de Jane Austen… Ces romans sont-ils subversifs, ou est-ce le fait de les lire sous le manteau à Téhéran qui est subversif ? Elles découvrent avec passion le pouvoir de la fiction et ses répercussions sur leur vie personnelle : l’imagination comme arme de résistance et gage de liberté.


L'éditeur ajoute : D’une richesse infinie, parfois drôle et souvent héroïque, Lire Lolita à Téhéran nous fait partager le quotidien de ces femmes iraniennes au cœur de la République islamique. Vibrant, déchirant et inoubliable.


*


J’ai coutume de dire que j’aime les livres qui parlent de livres. Ils sont pour moi la panacée. Il suffit qu’un roman parle d’un autre texte pour que je cours me le procurer, y plonger mes yeux, y loger mes désirs. Il ne pouvait en aller autrement pour Lire Lolita à Téhéran. 

En écrivant cette chronique, un instant je me retourne : derrière moi, des piles de livres. Austen, Nabokov, James, Fitzgerald. Tous compulsivement obtenus à la bibliothèque ou en librairie. Parce qu’à l’instar d’Azar Nafisi, il me fallait ces mots. Ces pensées, ces regards. Il me fallait accéder au sens du travail de l’autrice, à la substantifique moelle de son parcours. 


Les romans ne sont pas figés. Même les grands classiques. Ils sont ce que nous sommes, nous, lecteurs et lectrices qui un jour posons nos yeux sur eux. Ils sont notre histoire, nos peines et nos douleurs. Ils sont nos combats, nos fictions. Lire ces grands auteurs au cœur d’une dictature islamique n’a rien d’anodin. Et c’est ce qu’ont compris Azar Nafisi et ses étudiantes. Lolita et sa vie empêchée est beaucoup de ce que sont ces jeunes filles cachées sous des mètres de tissu, et Gatsby et ses rêves inatteignables, qu’a t-il de plus que ces étudiantes éperdues d’avenir et de liberté?


"Contre la tyrannie du temps et de la politique, imagine-nous comme nous-même nous n’osions pas le faire : dans nos instants les plus intimes, les plus secrets, dans les circonstances de la vie les plus extraordinaires, en train d’écouter de la musique, de tomber amoureuses, de descendre une rue ombragée ou de lire Lolita à Téhéran sous la révolution. Et imagine-nous ensuite quand tout cela nous fut enlevé, interdit, arraché. Si je parle de Nabokov aujourd’hui, c’est pour que l’on se souvienne que nous avons lu Nabokov à Téhéran, envers et contre tout. De tous ses romans, j’ai choisi celui que j’ai fait étudier à mes élèves en dernier, et auquel tant de souvenirs se rattachent. C’est sur Lolita que je veux écrire, mais pour l’instant, je ne peux le faire sans parler de Téhéran. Ceci est dont l’histoire de Lolita à Téhéran, de la couleur différente que Lolita donnait à Téhéran, et de la lumière que Téhéran apportait au livre de Nabokov et qui faisait en cette Lolita-là, notre Lolita."


Si j’ai tant aimé ce livre c’est parce qu’Azar Nafisi a magistralement mis en mot ma pensée sur le roman, et sur la fiction en général. "Un roman n’est pas une allégorie, dit-elle, c’est l’expérience à travers nos propre sens, d’un autre monde". Il suffit d’y sauter à pieds joints, de ne pas retenir son souffle, de s’impliquer dans ce que les personnages vont vivre pour découvrir, que l’empathie est au cœur du roman. Et c’est ainsi qu’il faut lire la fiction : comme une expérience de vie proposée. Une fenêtre à jamais ouverte. Une inspiration. 


Lire Lolita à Téhéran est un livre important. Car outre le fait qu’il fait aimer les livres à celles et ceux qui font le choix de l’ouvrir, il démontre par A + B qu’ils sont vecteurs de changements. Comme l’écrit Manna à sa professeure à la fin du roman, "Cinq années ont passé depuis que cette histoire a commencé dans la lumière nuageuse d’une pièce où, le jeudi matin, nous lisions Madame Bovary en mangeant des chocolat servis sur un plat rouge foncé. Presque rien n’a changé dans le train-train quotidien de notre vie. Mais quelque part ailleurs, moi j’ai changé. Chaque matin, tandis que le soleil se lève, comme les autres jours, et que je me réveille, puis que devant le miroir je mets mon voile pour sortir et devenir un élément de ce qu’on appelle la réalité, je sais aussi qu’un autre « moi » est apparu, nu, sur les pages d’un livre. Dans un monde de fiction, je me suis immobilisée comme une statue de Rodin. Et je resterai ainsi tant que vous, lecteurs, me garderez dans vos yeux". 


Dense, touffu, érudit, magistral, ce texte est important. Toutes et tous nous devrions nous y plonger, ne serait-ce que pour ouvrir une fenêtre supplémentaire dans l’appartement de notre âme. 

Et je peux vous l’affirmer, l’immense lectrice que je suis ne regardera plus jamais de la même façon l’acte de se plonger dans une œuvre de fiction. 

Par respect pour celles et eux qui luttent, jour et nuit, pour ce droit. 

Et par respect pour ce que ce droit ouvre comme chemin. 

Il en va de notre honneur 

et de notre liberté. 

 
 
 

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Louise DE BERGH, Chardonne. 

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