« Le théâtre doit être ce que le théâtre n’est pas. »
Simonetta Greggio pourrait très bien reprendre la fameuse citation de Pietro Paolo Pasolini à son compte en en modifiant deux mots : le roman doit être ce que le roman n’est pas.
Et pour le coup, c’est réussi ! Ce roman a tout de l’incroyable fresque romanesque sans en respecter le moindre code. On ne cesse de s’interroger : Dolce Vita : 1959-1979 est-il une peinture ? Une pièce de théâtre ? Une série de tableaux sagement alignés dans une galerie d’art ? Un ensemble de sketchs arbitrairement choisis ? Un objet littéraire non-identifié comme on se plait à dire aujourd’hui ? Je ne sais. Toujours est il que c’est passionnant.
Un vieil homme, le Prince Malo, est à l’article de la mort. Réfugié sur l’île d’Ischia avec le jésuite Saverio, il confesse son histoire douce-amère : celle d’un enfant gâté et débauché, d’une aristocratie décadente et d’une fin de règne qui n’en finit pas pour un pays qui jamais ne sut régler les comptes avec son passé. Entre les lèvres de Malo, les mots filent et s’échappent. Tout y passe : les années de plomb, les affaires de mœurs, les scandales financiers, les attentas à la bombe, les enlèvement, le meurtre d’Aldo Moro, le début des intrigues Berlusconiennes, les manoeuvres au Vatican...
« Je sais que le Prince n’a pas participé à la curée. Mais qu’a-t-il fait d’autre que danser avec ses semblables, les beaux et les damnés, sur les décombres d’un pays qui brûlait ? »
Avec Dolce Vita, la romancière italienne Simonetta Greggio dépeint une vaste fresque politique et sociale de l’Italie de 1959 à 1979, énumérant, les unes après les autres, toutes les sales affaires qui ont entaché le pays et continuent de le salir aujourd’hui. Des Brigades Rouges à la loge maçonnique P2 en passant par le meurtre de Pasolini, autant de faits divers que Simonetta Greggio nous livre en de plus ou moins longues scénettes, toutes plus truculentes et passionnantes les unes que les autres, déposées en vrac, sous nos yeux. Si certaines semblent un peu obscures pour une non-initiée, piètre connaisseuse de l’histoire Italienne après le XVIème siècle comme moi, elles témoignent d’une infinie richesse, d’un véritable travail de journaliste d’investigation et d’un remarquable art de la narration.
« Celle qui vient d’entrer s’appelle Dorothée Haraberts de Keting, poupée parisienne d’une grande famille mi-française mi-irlandaise. De son père elle tient la peau dorée et les cheveux roux, de sa mère les yeux vert jade, le nez retroussé et le corps de reine. Mais ce n’est pas pour ça, ni pour le sourire aux anges de l’homme qui l’accompagne, que tout le monde l’observe en retenant son souffle. Ses jambes interminables sont nues sous les bottes blanches, nues jusqu’à l’ourlet de Skaï sous lequel on peut voir sa culotte, blanche aussi, et les demi-lunes de ses fesses hautes. La première vraie minijupe vient de faire son apparition à Rome, et celle qui l’arbore fièrement est la deuxième femme du prince Malo. »
Le roman couvre vingt années. Vingt petites années au cours desquelles la face de l’Italie change du tout au tout. Après l’effervescence des années 60, années de liberté, d’émancipation, de débauche et de luxure parfois, viennent la répression, les affrontements constants entre les forces d’extrême gauche et les néofascistes, et la confusion la plus totale. La mafia traite avec les services secrets américains, le Vatican mouille dans les pires scandales financiers et de mœurs, Bologne et Milan meurent sous les bombes artisanales, dans des bains de sang.
C’est un livre parfaitement documenté que nous livre la brillante Simonetta Greggio, un roman qui se dévore d’un seul tenant, un livre infiniment plaisant. L’écriture est vive, emportée, parfois orale, intempestive, cinématographique. On entend les coupes de champagne tinter, les balles s’enfoncer dans les cœurs, les rires et les larmes s’entrechoquer. Et l’on se sent un peu privilégié aussi,
d’en avoir appris un peu,
d'en avoir appris beaucoup.
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