Il est difficile de ne pas plonger la tête la première dans un livre qui commence ainsi :
« Assise.
La dune dans mon dos et devant – brune et cavalière – la mer du Nord.
Je crois que c’est comme ça qu’il me faut commencer mon récit. Avec ces phrases, cet incipit. On dit que les premiers mots ont de l’importance. Je ne sais pas quel est l’intérêt des miens. Ils plantent les racines d’un décor – le sable, l’eau et le sel. Ils ne disent pas grand-chose d’autre que mon corps allongé dans les dunes. Je regarde le ciel. Il est bleu.
Bleu opaque et lisse.
Bleu d’été.
Bleu insolent.
D’habitude, on ne décrit pas le caractère des couleurs. Le bleu est indigo ou marine, un point c’est tout. Mais peu importe. Un ciel d’été en Belgique, il faut lui donner de la substance. Il est trop rare pour être coincé dans des mots vides – ou pire : dans le silence. »
Et il l’est tout autant – difficile, j’entends – de ne pas lever les sourcils et plisser le front devant un nom pareil. Imprononçable. « Oostduinkerke », ce n’est pas un titre ça.
Et puis c’est quoi d’ailleurs ?
Voilà, notre curiosité est piquée, il ne reste plus qu’à se délecter.
*
Depuis quelques semaines, et alors que je viens de signer un contrat avec les éditions de l’Aire pour mon deuxième roman, je m’emploie à découvrir plus en profondeur les textes que cette maison défend. Après Vanité de Reynald Freudiger, c’est Oostduinkerke (Prix SPG du premier roman romand 2019) de Claire May qui m’est tombé entre les mains. Et si j’avoue ne pas avoir été complètement convaincue par ce que l’on pourrait appeler le fond du texte (le fossé aussi profond que définitif séparant Emma et Charles politiquement parlant et les échanges assez convenus à ce sujet), j’ose clamer un enthousiasme des plus francs pour la langue qui le meut.
Chaque phrase est pesée au milligramme prêt, chaque mot débattu, chaque ligne mesurée, soigneusement choisie dans une préoccupation esthétique constante. Les descriptions sont d’une beauté foudroyante et le regard que pose l’autrice sur les choses, totalement dénué d’artifice. On ne peut qu’être admiratif·ve devant le sens de la formule de cette jeune primo-romancière, transporté·e par l’intelligence de ses mots et la finesse de son phrasé. On sent le travail immense tapis dans l’ombre et l’indiscutable spontanéité.
« Et puis il y a le traditionnel château de sable, on creuse en rond et on met le sable au centre, le tas grandit, grandit, on dessine des portes, des pont-levis et des murailles, on décore le tout. Une fois que c’est fini, on attend que la mer monte, qu’elle s’accroche à la citadelle avec ses longues mains d’écume. Souvent, quand ça arrive, les enfants crient, pas de tristesse mais de joie. Ils sont tellement contents qu’ils grimpent sur le château en ruines et l’achèvent avec les pieds. On ne dirait pas mais ils sont de mèche avec la mer, en fait, les petits belges. »
Oostduinkerke est un roman polyphonique résolument original. D’une sincérité confondante, d’une beauté désarmante et d’une élégance indéniable.
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