Asta, Jón Kalman Stefánsson.
- loudebergh
- il y a 14 minutes
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Il est dans les textes de Jón Kalman Stefánsson comme dans la vie, des éclats de lumière qui transpercent les ténèbres. Ils sont joyaux, larmes, faisceaux. Ils sont l’incandescence même. Capables des plus grands miracles comme des plus sombres bassesses, ils disent la vie en ce qu’elle a de plus juste et de plus tremblant.
Ils sont nécessaires
et brillent comme des phares
dans une nuit sans lune.
Celles et ceux d’entre vous qui me lisent régulièrement connaissent mon amour pour le poète et romancier islandais Jón Kalman Stefánsson. De lui j’ai tout lu, tout entendu, tout dévoré.
Mais j’ai été prise, il y a peu, d’une envie de le remettre sous mes yeux. Une envie irrépressible. Parce que l’hiver venant, il me faut du nord voyez-vous, des fjords, du café et des vents violents. Des champs de lave et des tempêtes de neige, c’est ainsi je n’y peux rien. Son prochain roman n’étant prévu qu’en mars, il me fallait bien trouver autre chose. Alors j’ai retiré Ásta de son étagère et me suis replongée dedans. Et figurez-vous que c’est un tout autre texte que j’ai redécouvert. Tout aussi merveilleux que celui de ma première lecture, mais autrement plus grandiose encore. Car si ma première lecture l’avait consacré comme le roman du temps qui passe, troublée comme je l’avais été par cette narration si particulière, la deuxième fut celle de l’amour dans toutes ces acceptions, depuis l’incapacité d’aimer jusqu’au désir le plus immense.
*
Reykjavik, au début des années 50. Sigvaldi et Helga décident de nommer leur deuxième fille Ásta, d’après une grande héroïne de la littérature islandaise. Un prénom signifiant – à une lettre près – amour en islandais qui ne peut que porter chance à leur fille… Des années plus tard, Sigvaldi tombe d’une échelle et se remémore toute son existence : il n’a pas été un père à la hauteur, et la vie d’Ásta n’a pas tenu cette promesse de bonheur.
Jón Kalman Stefánsson enjambe les époques et les pays pour nous raconter l’urgence autant que l’impossibilité d’aimer. À travers l’histoire de Sigvaldi et d’Helga puis, une génération plus tard, celle d’Ásta et de Jósef, il nous offre un superbe roman, lyrique et charnel, sur des sentiments plus grands que nous, et des vies qui s’enlisent malgré notre inlassable quête du bonheur.
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Donner à lire une vie, ce n’est jamais autre chose qu’une succession d’images, de souvenirs et de fragrances sur la page rassemblées. Ce n’est pas aller d’un point A à un point B sans autre forme de procès – comme si l’humain était un être rationnel! Donner à lire une vie, c’est convoquer le monde avec les sens, la peau et l’âme. C’est le tordre et le maudire, le grandir, le faire frémir.
C’est tenter de trouver le chemin dans les circonvolutions et les doutes, et faire naître de ces méandres la plus sensible des lumières. C’est accepter l’errance – n’est-ce pas, après tout, ce dont sont faites nos vies ? – les liens fortuits, les idées comme des aurores boréales, lumineuses et glacées.
Lire Jón Kalman Stefánsson, c’est accepter de se perdre pour mieux se trouver.
C’est avoir le sentiment, toutes les deux lignes, de toucher la substantifique moelle de la vie. C’est ne cesser d’être ébloui.e et comprendre (un peu) de quel bois est fait l’âme humaine.
C’est vivre le désir, la passion et la tristesse avec la même fougue, avoir l’impression de goûter la lumière et la faire rouler sous notre langue.
Il me faudrait lire Ásta mille fois pour en saisir toute l’essence – quoique « saisir » est un bien piètre mot, l’œuvre du poète islandais ne se saisit pas : elle glisse entre nos doigts et fait germer entre eux des perles d’eau scintillantes, des étoiles gorgées du suc de la vie – triste, perdu et désespéré, mais plein d'étoiles aussi.





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