J’ai lu En finir avec Eddy Bellegueule en quelques heures.
La rage au cœur.
La colère en étendard.
Je fulminais déjà, avant d’en commencer la lecture – pour de toutes autres raisons, aussi obscures qu’évidentes. Mais j’ai trouvé entre ses pages un horizon à ma colère. Un chemin. Un possible.
J’ai lu à m’en abîmer les yeux, j’ai eu envie de vomir, de hurler.
J’ai lu sans pouvoir m’arrêter.
Ce texte. Cette tentative pour comprendre.
Le dégoût que peut inspirer un monde, et la nécessité de le fuir.
*
« Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d’entendre ma mère dire Qu’est-ce qui fait le débile là? Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J’étais déjà loin, je n’appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j’ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre. Toute la nuit fut consacrée à l’élaboration de ma nouvelle vie loin d’ici. »
En vérité, l’insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n’a été que seconde. Car avant de m’insurger contre le monde de mon enfance, c’est le monde de mon enfance qui s’est insurgé contre moi. Très vite, j’ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.
*
J’ai souvent entendu Edouard Louis parler, en interview. À La Grande Librairie notamment. Chaque fois, je le trouvais brillant. Subtil. Grand.
Mais je percevais une rage immense. Un bouillonnement. Quelque chose d’inextinguible.
Derrière sa voix posée, son phrasé nuancé, sa scansion mesurée, je ne voyais que le feu.
Sous mes yeux : un homme prêt à livrer bataille. Contre un système, un ordre, qui n’avait rien de la fatalité.
Ce feu imprégnait toutes les pages d’En finir avec Eddy Bellegueule. Il en consumait chaque ligne, brûlait chaque silence.
Sa lecture m’a fait l’effet d’un électrochoc. D’une coup de poing entre les omoplates.
Souffle coupé.
J’ai été transportée par la puissance du récit d’Edouard Louis, l’entièreté de sa rage, l’immensité de sa douleur. Et sa capacité à sublimer cette fièvre en une merveille de littérature.
En le refermant, le cœur palpitant,
j’avais le sentiment d’avoir compris Eddy Bellegueule,
et aimé Edouard Louis.
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