Folie entre mes doigts, Alice Botelho.
- loudebergh
- il y a 5 heures
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Folie entre mes doigts d’Alice Botelho a tout arraché en moi. Les larmes et les peintures, la rage – ma peau. Il a tout écorché. Mon cœur, mes tripes et mes souvenirs. Mon silence et ma colère. Il a tout bousculé, tout repeuplé. Il m’a collé le nez sur ce que je refusais de voir, il a fait ça. Il m’a dépliée doucement, comme un bandage qu’on enlève, il m’a secouée, est venu trifouiller les plaies encore purulentes.
Et puis il a affirmée : oui, tout ceci peut être Résistance.
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Alice a vingt ans quand elle est internée en clinique psychiatrique. Pour elle, c'est une expérience inédite et bouleversante, mais certains patients sont des habitués des lieux... Dans ce microcosme naissent des affinités. Malgré la maladie, les bizarreries et les médicaments, Alice, avec sa jeunesse et sa vivacité, s'attire la sympathie des autres malades. Elle tisse notamment des liens d'amitié intergénérationnels avec un groupe de femmes très attachantes : toutes ont des histoires particulières, à la fois banales et violentes. À leur contact, Alice prend peu à peu conscience de ses propres maux, et se réapproprie ainsi sa propre histoire, son intimité et son corps meurtris.
Dans ce premier roman porté par une langue rauque et parfois crue, Alice Botelho porte un regard frontal et sans concession sur la santé mentale.
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Ce texte est un grand texte. Parce qu’il est important en ce qu’il raconte et donne à voir d’abord – quelques mois dans un hôpital psychiatrique. Et surtout en la manière qu’il le fait – j’utilise le terme à propos. Rappelons-nous ce que l’Histoire de l’art a nommé maniera : une réaction artistique, née au début du XVIème siècle, à la perfection atteinte durant la Haute Renaissance dans la représentation du corps humain et dans l’art de la perspective. Une façon d’ébranler l’idéal humaniste en somme, de mettre un coup de pied dans la fourmilière. Ne plus se contenter d’imiter la nature, mais faire émerger une touche caractéristique.
Folie entre mes doigts a tout du roman maniériste : il donne à lire dans un espace désuni, des images troubles et obscures, des personnages déformés (physiquement et psychiquement), en permanente torsion entre douceur et violence, une langue acide, poétique et crue, sensible, rythmée, pleine de signes et de citations, comme des adresses à la culture de ses lecteurs.ices. Et le voilà ébranlant tout sur son passage. Les idéaux et les belles promesses.
Le roman débute d’ailleurs par cette citation de Pattie O’Green, qui m’a traversée de part en part:
Le jour où l’on va affirmer, en tant que société, que les maladies mentales ne sont pas de pathologies, mais qu’elles sont des résistances, ce sera le début de la fin des plus grandes violences.
Vous l’avez compris, Folie entre mes doigts est un texte exceptionnel, dur et âpre. Où il est question d’inceste, d’oubli et de rage. D’envie de disparaître et d’incapacité à vivre lorsque l’on a été trop abîmé. Il a extirpé de mon cœur une rage et une tristesse sans nom dont je peine encore à dessiner le contours. Mais il fut salutaire. Adressé « aux gladiatrices que sont les folles », c’est un acte de résistance en eaux profondes dont je me souviendrai longtemps.





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