Sula, Toni Morrison.

Il y a quelques temps, j’ai lu L’été où tout a fondu de Tiffany McDaniel, un livre ample et percutant, qui m’avait beaucoup impressionnée. En terminant Sula, de l’immense Toni Morrison (écrit 40 ans plus tôt), je prends conscience de la force de ce que l’on nomme classique : être capable de forger un réel, de travailler un univers qui jamais ne cessera d’être, dans la vie, le cœur et l’imaginaire des gens. Et dans les livres des auteurs.ices à venir. 

Être à l’origine de tant de textes superbes, de tant de regards sur le monde. 

Être à l’origine, tout simplement. 

Celles et ceux d’entre vous qui me lisent régulièrement, connaissent mon amour pour Toni Morrison. Pour sa prose, ses engagements politiques, l’expressivité de sa langue et les images nées à la lecture de ses romans qui resteront à jamais gravées sur ma rétine. C’est simple, je la place tout en haut de mon panthéon personnel, et ses livres comptent parmi ceux que je pense le plus nécessaires de faire siens. Et puis nombre d’entre eux sont interdits par l’administration Trump et supprimés des fonds des bibliothèques des Etats les plus conservateurs. C’est, à mon sens, signe de grande qualité. 

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Dans l’Ohio des années 20, deux petites filles noires s’inventent ensemble une vie meilleure. Mais l’âge venant, tandis que Nel se plie à son rôle de mère et d’épouse, Sula choisit de conquérir ailleurs sa liberté. Pour tous, elle devient la scandaleuse, la dévoyée. Et doit se défendre, quarante ans plus tard, contre une société soumise à la vérité des autres. 

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Il y a peu, j’écoutais Patrick Chamoiseau parler de son rapport aux livres et à la littérature dans une interview pour France Culture. Il faisait la distinction entre pouvoir et puissance. Si la littérature n’est ni pouvoir ni n’en donne, elle est puissance. Intrinsèquement. En ce qu’elle enchante, forge et bâtit. Grandit, émeut et porte. Cette distinction s’applique avec maestria à l’écriture de Toni Morrison. Ses textes sont puissance : sans être capables de rien, ils sont emprise et grandeur. Souveraineté et possibilité. 

La langue de Toni Morrison crée des univers. Expressive, sensuelle, radicale au possible, elle donne naissance à ses êtres inoubliables. De ceux qui traversent le monde avec une si forte présence qu’il est impossible de s’en détacher tout à fait. La voilà conteuse, magicienne, artisane, apte à mettre les mains dans le cambouis de la réalité pour faire vivre l’amour, le désamour et la liberté avec plus de force qu’on ne peut l’imaginer. 

En donnant à lire la noirceur dans sa plus pure acception, elle fait rayonner la lumière où qu’elle se dépose et déploie émotions et actes posés, avec la plus prodigieuse des vérités.