Normal people, Sally Rooney.
- loudebergh
- il y a 20 heures
- 3 min de lecture

Ça y est, j’ai été prise au « piège Sally Rooney ».
J’avais soigneusement cru pouvoir éviter le phénomène, le regarder de haut, de loin, depuis ma tour d’ivoire de lectrice d’auteur.ice.s « connu.e.s mais pas trop », continuer à dire que les best-sellers ce n’était pas pour moi, qu’il serait bien inutile de rajouter une pièce dans la machine et puis…
Et puis je suis rappelée qu’il y avait souvent un feu à l’origine de la fumée.
Et que ce feu avait peut-être quelque chose dans le ventre.
Spoiler alert : mon intuition était bonne.
Sally Rooney, c’est LE phénomène littéraire de la décennie. L’autrice des millennials, LA Jane Austen des temps modernes, à l’origine de bouquins traduits dans le monde entier, vendus à des millions d’exemplaire. C’est l’Irlandaise que l’on ne présente plus, l’écrivaine dont le monde avait besoin.
Bon, ça c’est pour le discours médiatique.
Quand on peine à comprendre, on se repait d’expressions, de comparaisons hasardeuses et de phrases toutes faites pour tenter la définition. Mais au tout-promotionnel, opposons le tout-critique et revenons aux sources dudit phénomène. Du grec phainein (apparaître), lui-même dérivé de phis (la lumière), le terme désigne ce qui apparait aux sens ou à la conscience.
Et c’est exactement selon moi ce que parvient à faire Sally Rooney dans Normal people : éclairer le réel. L’illuminer, littéralement.
*
Connell et Marianne ont grandi dans la même ville d’Irlande. Il est le garçon en vue du lycée, elle est la solitaire un peu maladroite. Pourtant, l’étincelle se produit : le fils de la femme de ménage et l’intello hautaine connaissent ensemble leur premier amour.
Un an plus tard, alors que Marianne s’épanouit au Trinity College de Dublin, Connell s’acclimate mal à la vie universitaire. Un jour, tout est léger, irrésistible, le lendemain, le drame pointe et les sentiments vacillent.
Entre eux, le jeu vient juste de commencer.
*
Je ressors de ce livre avec des papillons dans le ventre et les méninges en ébullition. Alors comme ça, il est possible d’écrire de tels romans ! De ceux où il ne se passe pas grand chose (à part la vie) et que l’on dévore en quelques heures, avec délectation.
Normal people, c’est une lecture jouissive de bout en bout, un bain de jouvence littéraire.
Vif, drôle, sensible, juste, intelligent, je peine à m’arrêter tant les adjectifs pleuvent sous mes doigts.
Sally Rooney maîtrise la narration comme personne, elle campe des personnages réels et superbes avec un aplomb fabuleux, et dépeint les rapports humains avec une telle perfection que c’en est troublant. Ce livre a tout du saut dans le vide et de la maîtrise absolue en même temps. C’est dingue, un point c’est tout.
J’ai aimé l’épaisseur psychologique de ses personnages, leur sensualité et leurs idéaux, leur intelligence, leurs troubles et les peurs. J’ai aimé l’attachement au détail de Sally Rooney, sa capacité à faire naître des atmosphères qui explosent sous nos yeux, des dialogues qui sonnent si justes que l’on croit les avoir entendus quelques minutes plus tôt. Là est le tour de force : donner une dimension unique et universelle à cette histoire.
Et raconter l’amitié, l’amour, le sexe et les errances affectives d’une génération qui n’a plus le droit de rêver mais qui s’entête à essayer.
Normal people c’est une pâtisserie fine et un plaisir coupable tout à la fois, de celles dont on redemande, parce que la vie semble sacrément plus douce depuis qu’elles ont passé le seuil de notre bouche.
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