Fragile/s, Nicolas Martin.
- loudebergh
- il y a 14 minutes
- 2 min de lecture

On a coutume de parler de claque ou de bijou,
de coup de cœur ou de chef d’œuvre,
on a coutume d’utiliser certaines images jusqu’à la corde pour rendre compte de ce qu’a pu être lecture. Parce que souvent les mots manquent, que les nôtres font bien pâle figure à côté de ceux que l’on vient d’avoir sous les yeux des heures durant, et parce que l’on veut convaincre. À tout prix. Alors je vais tenter d’éviter l’écueil. Vous dire, factuellement, ce que ce livre a été pour moi, sans tomber dans la phrase facile et l’image toute faite.
J’ai lu Fragile/s de Nicolas Martin jusqu’à m’en brûler les yeux. Avec, rivé au cœur, un mélange de rage, d’admiration et de fébrilité. J’ai lu ce livre comme si c’était le dernier texte que je mettais sous mes yeux, sidérée par l’océan qu’il constituait et la porte sur un ailleurs qu’il ouvrait. J’ai lu ce livre avec un immense bonheur, une envie de ne plus jamais en sortir, si terrible sa réalité fut-elle. Et ce parce qu’il était le fruit d’un formidable conteur, à la vue lointaine et au cœur grand.
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Dans une France où la fertilité s’effondre et la majorité des naissances sont touchées par le syndrome de l’X fragile, Typhaine, élue par le très sélectif Programme expérimental de génoembryologie grâce à la position de son mari, m’accouche d’un garçon sain. Mais l’étonnante progression cognitive de son fils est bien vite aussi inquiétante que le contrôle dont font l’objet les mères, alors que le pays bascule dans la dictature.
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Je vous le disais dans un précédent article, je m’ouvre à de nouveaux genres. Plus de diversité, plus de regards, des pas de côtés. Je m’ouvre à une littérature de la pensée, de la possibilité, de l’imaginaire. À celle qui ne se contente pas de décrire, d’expliquer, de porter la plume dans la plaie, mais celle qui envisage de la redessiner cette plume. Avec des ailes et une mémoire grande comme ça. Et vous savez quoi, j’ai l’impression que je grandis. Ma curiosité s’éveille, mes papilles dansent une gigue, je m’émerveille.
Et s’émerveiller devant un texte qui donne à lire un programme de fertilisation eugéniste dans une civilisation mourante tenue à bout de bras par un régime fasciste, cela relève de la performance, vous l’admettrez. Mais ce livre en est une. Écrit d’un main de maître, pensé comme un voyage, donné à lire comme un thriller, il a été mon épiphanie de la semaine. Je me suis coulée dans les vertiges qui m’étaient contés avec un immense plaisir, je me suis émue, j’ai tressailli, hurlé, frémi avec ses personnages. J’ai envisagé aussi. Beaucoup. Et regardé la réalité qui s’étendait devant moi. Car n’est-ce pas la force des dystopies futuristes ? Donner à lire demain pour fouiller le présent?
Fragile/s est un époustouflant récit d’anticipation politique et féministe, un premier roman grandiose et glaçant porté par des femmes victimes et résistantes, ébauchant une fiction hallucinante de vérité. De celles qui nous rappellent que notre vigilance jamais ne doit flancher.





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