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Photo du rédacteurloudebergh

L'attrape-cœurs, J.D. Salinger.


Que dire d’un texte au sujet duquel on a tant écrit? 

Comment le faire sien quand il semble déjà appartenir à tous.tes? 

Comment y river son cœur, 

à quel endroit encore? 

Voilà les questions qui m’assaillent en refermant L’attrape-cœurs de J.D. Salinger, classique parmi les classiques, monument parmi les monuments. 


Et immédiatement après, je pense : 

Sincérité. 

Voilà le terme qui dit ce récit avec la plus grande justesse. 

L’attrape-cœurs transpire l’honnêteté.

Et la langue qui le porte, plus audacieuse que jamais, est au service de cette vertu. 


Ensuite, je vois — en grands caractères, tambour battant : 

Décompensation psychique. 

Ce n’est pas un terme lancé à la légère, et je ne le trouve nulle part dans les écrits qui peuplent la toile au sujet de ce livre inclassable. On préfère parler de livre culte, ayant marqué la jeunesse américaine sur plusieurs générations, d’un instant de grâce porté par une écriture écorchée vive, de rêves, de désirs, de révolte. 

Car L’attrape-cœurs, c’est l’histoire d’une fugue. Celle d’Holden Caulfield, un garçon de la bourgeoisie New-Yorkaise viré de son collège quelques jours avec Noël et qui n’ose rentrer chez lui. Suivent trois jours de vagabondage dans Manhattan, d’aventure cocasses, sordides, émouvantes et inquiétantes, au cours desquelles Holden semble autant se chercher que chercher l’Autre.

Faisant émerger l’histoire éternelle d’un gosse perdu qui cherche des raisons de vivre dans un monde hostile et corrompu.


Voila. Ça, c’est pour ce que les articles disent. 

Pourtant, ce n’est pas ce récit que j’ai lu — ou du moins, pas entièrement. Et les dernières lignes du texte semblent me convaincre de mon assertion. Je vois L’attrape-cœurs comme le récit, sur trois jours, d’une décompensation psychotique. Celle d’un adolescent de dix-sept ans doté d’une sensibilité hors-paire, subissant, à l’occasion de son renvoi, un excès de tension qu’il ne parvient plus à gérer par ses défenses habituelles (l’ironie, le sarcasme, le second-degrés, l’évitement). Celle d’un adolescent qui, comme le dit un de ses professeurs, marche « vers une sorte de terrible, terrible chute ». Destin implacable pour un garçon qui se rêvait catcher in the rye, celui qui empêcherait les enfants de tomber de la falaise. Il semblerait pourtant que de tous, ce soit Holden qui ait fini par chuter. 


J’ai aimé ce personnage, marginal au possible, terrifié à l’idée de sombrer. Exagérants des détails sans importance, traitant comme insignifiantes des choses pour lesquelles il ne devrait pas être indifférent, sans cesse pris à son propre jeu (perdant peu à peu le sens du réel) d’identités troubles et multiples. J’ai été infiniment touchée par ce personnage effrayé par ses propres émotions, qui — il le répète sans cesse — « le tuent ». Tout est dégoût, incompréhension, agacement. Parfois, un peu de compassion mêlée d’écœurement. Mais toujours, une barrière infranchissable, chaque jour plus haute, entre lui et les autres. 


Et à travers son interrogation quant au devenir des canards de central Park quand le lac est pris par les glaces, ne peut-on pas lire son interrogation, à voix basse formulée : que deviennent les hommes lorsque qu’ils perdent tout contact chaleureux et que peu à peu, le froid les enserre? 

Ce jeune homme, étranger au monde et à lui-même, m’a émue plus que tout. Incapable de percevoir le mal qui le ronge, il sombre vers un abîme dans lequel la réalité n’est plus qu’un lointain mirage. 

Le tout servi par une langue exceptionnelle de beauté, d’humanité et de rugosité. 









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