La pommeraie, Peter Heller.
- loudebergh
- 8 août
- 3 min de lecture

Dans le monde des livres, on a bien souvent tendance à parler de « coup de cÅ“ur » lorsqu’un texte nous plait particulièrement : on raconte volontiers notre dernier « coup de cÅ“ur » on dresse la liste des « coups de cÅ“ur de la rentrée littéraire ».Â
Mais à force d’être mis à toutes les sauces, le terme devient galvaudé.Â
Vidé de sa substance, à peine un qualificatif.Â
Alors ce soir, j’ai envie de dire que La pommeraie de Peter Heller n’est PAS un coup de cÅ“ur.Â
C’est un éblouissement.Â
Une merveille faite livre, un joyau couleur ciel, lac et océan.Â
*
Frith a six ans quand sa mère Hayley, professeure et traductrice de poésie chinoise, décide de plaquer sa carrière universitaire pour venir s’installer dans une cabane rustique au pied des montagnes du Vermont et s’inventer une vie libre et belle. Ce retour à la terre est rude, mais toutes deux subsistent grâce à la pommeraie qui flanque leur terrain et au sirop d’érable qu’elles produisent. Scolarisée à domicile, l’intrépide Frith s’imagine reine de leur paradis sauvage, ignorant tout des peines et des regrets qui ont poussé Hayley à se réfugier ici. Saison après saison, mère et fille vivent en autarcie, affrontant « le monde et ses déceptions main dans la main », jusqu’au jour où Rose, une aristocrate locale, frappe à leur porte et bouleverse leur existence.Â
Près de trente ans plus tard, Frith se remémore les jours heureux d’avant les tragédies et revisite sa relation fusionnelle avec Hayley à travers les sublimes poèmes qu’elle lui a légués.Â
*
La pommeraie c’est la délicatesse même, nimbée de mélancolie.Â
C’est une larme, une étincelle,Â
le chemin d’une goutte d’eau sur la peau bronzée d'une épaule,Â
le bruit des griffes d’un chien sur le sol d’une cabane.Â
C’est l’amour d’une mère pour sa fille, d’une fille pour sa mère.Â
La littérature fourmille de relations mère-fille abîmées. Compliquées. Impossibles.
Quel plaisir d’en lire une différente! : sublime, respectueuse, entière.
Une relation dont on voudrait être, tant elle transpire la grâce et l’amour. Le vrai.
Celui qui ne détruit pas, celui qui protège, celui qui couve sans étouffer, qui grandit sans repousser.Â
C’est un texte plus beau que beau que j’ai bien peur d’abîmer à vouloir en écrire quelque chose. Mais je voudrais tant le savoir entre toutes vos mains. Parce que la vie me semble plus douce, plus belle, plus grandiose depuis qu’il est passé sous mes yeux.
La pommeraie m’a donné à goûter le silence. Celui qui ne cherche pas à être rempli,Â
qui ne tend pas vers sa fin par tous les moyens,Â
celui qui, comme un orage, explose et laisse au coin du ciel une fragrance humide et électrique.Â
« Je lui ai demandé ce qu’elle écrivait. Elle a levé les yeux, l’air confus comme à la sortie d’un rêve, et a dit : « Oh j’écris le silence, ma puce. J’essaye de capturer le tonnerre qu’il contient. – Le tonnerre ? – Il y a des fois où le silence fait plus de bruit que le tonnerre, tu ne penses pas ? ».Â
La pommeraie c’est une contemplation, un tableau, une rivière caressée par les rayons d’un soleil finissant. C’est un plongeon de quatre mètres, un thé fumé sur lequel on souffle en regardant l’astre se lever depuis la véranda, la vie la vraie, celle des éléments et du travail. De la forêt, des grands espaces, des pommiers et des castors.Â
C’est une bouffée d’air frais, une respiration.Â
Une gorge qui se serre parce que c’est beau,Â
parce que c’est triste. Et qu’on voudrait ne jamais en terminer la lecture.Â
Ce n’est pas un coup de cÅ“ur, ce sont mille et un tambourins qui dansent dans ma poitrine. Et la tristesse accrochée au coin de mon Å“il à l’idée de dire au revoir à Frith, Hayley, Ours et Rosie, les reines de ce lieu.Â