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La Tresse, Laetitia Colombani

Dernière mise à jour : 2 janv. 2019


C’est un roman que j’avoue avoir entamé sans grandes convictions. La couverture ne me plaisait pas avec son jaune criard, son titre placardé sur une bande blanche trop blanche, cette ombre chinoise un rien « déjà vue », sa finesse (aucune discrimination là dedans, mais je dois admettre que je suis plus attirée par les pavés que par les feuilles de papier) et son résumé sur la quatrième de couverture un brin simpliste.

Bref, j’y allais pour trois raisons qui sont, je dois l’admettre, parmi celles que l’on se doit d’éviter si l’on cherche à choisir un livre pour de bonnes raisons :

  • Je n’en entendais que du bien (« Best-seller de l’été », un livre qui provoque « l’engouement dans le monde entier » (Paris Match), « un roman dans lequel il y a tout » (La Grande Librairie)).

  • Il était au dessus de la pile, alors à quoi bon se priver ?

  • C’était un livre extrêmement court. Et pour une fois, sans vraiment me l’avouer, c’est ce que je recherchais. Je sortais de plusieurs longues expériences de lecture qui m’avaient été coûteuses, et je voulais un roman simple, vite lu, vite oublié, pensé-je.

 

Et puis je l’ai commencé. Et puis j’ai été emportée. Emportée par un rythme allant, une musicalité indéniable, un suspense joliment titillant, une belle intrigue, des personnages superbes. Il y a Smita (Inde), une intouchable qui rêve d’échapper à sa condition misérable et permettre à sa fille d’entrer à l’école, Giulia (Sicile) employée dans l’entreprise familiale qui depuis trois générations vit de la cascatura et Sarah (Canada), jeune avocate brillante, mère de famille surmenée, apprenant un beau jour qu’elle est atteinte d’un cancer du sein.


Le feel-good book n’est pas loin pense-t-on. Il crève l’écran même.

Mais non. Ou plutôt, pas que.


Le roman commence par une définition. Tresse n.f. Assemblage de trois mèches, de trois brins entrelacés. Puis vient le prologue que je me propose de retranscrire ici car il est indéniablement ce que le roman a de plus délicat. On en retrouve d’ailleurs le développement par trois fois dans l’ouvrage ; c’est par lui que le lien entre ces trois femmes se tisse.

C’est le début d’une histoire.

Une histoire nouvelle à chaque fois.

Elle s’anime là, sous mes doigts.


D’abord, il y a la monture.

La structure doit être assez solide pour supporter l’ensemble.

La soie ou le coton, pour la ville ou la scène. Tout dépend.

Le coton est plus résistant,

La soie plus fine et plus discrète.

Il faut un marteau et des clous.

Il faut aller doucement, surtout.


Puis vient le tissage.

C’est la partie que je préfère.

Sur le métier devant moi.

Trois fils en nylon sont tendus ?

Saisir les brins, dans la botte, trois par trois,

Les nouer sans les casser.

Et puis recommencer

Des milliers de fois.

J’aime ces heures solitaires, ces heures où mes mains dansent.

C’est un étrange ballet que celui de mes doigts.

Ils écrivent une histoire de tresse et d’entrelacs.

Cette histoire est la mienne.


Pourtant elle ne m’appartient pas.


Quand j’ai commencé le roman, je n’avais pas bien saisi ce que représentait cette « histoire », « nouvelle à chaque fois » (l. 1-2), je n’avais pas bien compris non plus qui était cette femme dont les doigts dansaient et virevoltaient sur son ouvrage.

Et j’avoue bouillir intérieurement en m’abstenant de vous le révéler. Mais peut-être avez-vous déjà deviné ?

 

Quoiqu’il en soit, que cette vérité ne vous soit offerte qu’à la fin où dès le début de l’œuvre, il y réside quelque chose de sublime. De sublime et d’extrêmement simple, de banal même. Rien d’héroïque dans ces trois femmes, éprises de liberté. Juste des « vous » et des « moi ». Des « vous » et des « moi » dont les destins se sont retrouvés entremêlés tels les mèches d’une tresse. Des destins magnifiés par une écriture crue et sensible qui, d’un chapitre à l’autre, donne à voir successivement le parcours de ces trois femmes qui refusent le sort qui leur est réservé : celle qui fuit son village pour donner un avenir à sa fille, celle qui se débat pour maintenir à flot l’entreprise familiale et celle qui combat tant sa maladie que l’intolérance envers elle qu’elle génère.


Liées sans le savoir par ce qu’elles ont de plus intimes, leurs histoires tissent une tresse vibrante d’humanité, une tresse qui n’est autre qu’une délicieuse image de cette phrase du Talmud : « Celui qui sauve une vie sauve le monde entier ».


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