Notre part féroce, Sophie Pointurier.
- loudebergh
- il y a 6 jours
- 3 min de lecture

En voilà un texte audacieux ! Vivant, vivifiant, original.
Un risque-tout, un casse-cou,
un inclassable.
Je l’ai ouvert parce que les premières pages ne m’ont pas simplement rappelé mon histoire, mais parce qu’elles étaient mon histoire, et qu’avec le talent de Sophie Pointurier dans les pattes, j’aurais bien pu les écrire. Entre ses mots était ma vie, mes jeunes années, mon rapport à la mère, mes incompréhensions. Et puis la quatrième de couverture parlait de « réparer son enfance », ce à quoi je m’employais depuis plusieurs années sur un divan. Il m’était impossible de ne pas aller plus loin.
Notre part féroce m’a appelée, disais-je. Et je l’ai dévorée. Autant je ne m’attendais pas DU TOUT à ce en quoi le roman se transforme lentement (mais chut, je ne vous dirai rien de plus à ce sujet!), autant cela m’a ravie ! Parce que j’ai trouvé ce renversement terriblement original, à la frontière de tous les genres, résolument dans le temps. Souvent j’ai pensé à Aliène de Phœbe Hadjimarkos Clarke lu l’année passés, aux Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë et à Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés. Et puis je n’ai plus fait aucun lien, je me suis laissée porter par cette histoire complètement folle, entre mythes et réalité.
Parce que là est le véritable tour de force de Sophie Pointurier : avoir recours au fantastique pour parler de l’intime. Questionner la façon dont parfois on s’arrange avec la réalité pour la rendre supportable. Quand enfants, nous ne comprenons pas les drames qui nous entourent, nous voilà parfois obligés d’inventer une autre réalité pour mettre en mots la violence vécue. Tous les enfants (petits et grands) tentent de préserver leurs parents comme ils le peuvent, et c’est souvent en (se) racontant des histoires qu’ils leur pardonnent – un peu.
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Pour certains, l’enfance est un paradis perdu. Pour Anne, c’est une terre aride. Fuir, briser sa chaîne, vivre sa vie, c’est tout ce qu’elle espérait. Devenue mère, la voilà rattrapée par son histoire. Et une obsession : comprendre la femme qui l’a élevée seule.
Anne est journaliste. Son dernier article, écrit en réaction au procès d’un chasseur jugé pour avoir tué une louve, la plonge dans une tempête médiatique. Mise en retrait des sujets sensibles, elle s’offre une parenthèse estivale et embarque avec elle sa fille, sa mère et sa vieille amie. Mais dès leur arrivée, l’étrange s’invite dans leur quotidien : événements inexpliqués, coïncidences, déjà-vu… Les détracteurs de Anne auraient-ils décidé de ne plus la laisser en paix ? Ou est-ce autre chose, de plus ancien et de plus sauvage, qui s’éveille autour d’elle ?
Odyssée de femmes, fable contemporaine, voyage palpitant au cœur d’une mélancolie familiale, roman sur les mythologies et la violence qui nous peuplent, Notre part féroce pose une question : jusqu’où peut-on aller pour réparer notre enfance ?
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Et si j’ai aimé la première lecture – littérale, si pleine de ce que l’on ne peut expliquer, je me suis passionnée pour la seconde, plus psychanalytique : ce que l’on pouvait en lire entre les lignes, ce que la petite histoire disait de la grande et inversement.
J’ai aimé l’utilisation de la figure archétypale du loup-garou pour dire la détresse, l’étrangeté, le besoin du sauvage, le refus des conventions. J’ai été touchée par la conclusion de cet admirable récit, tout de justesse et d’émancipation, la lecture féministe de ce conte moderne, l’engagement de son autrice dans sa narration.
Je n’ai cessé de corner des pages, d’en souligner des paragraphes, parce qu’en plus d’être brillants, ils me racontaient un peu aussi. Je me suis dit que pour dire les choses ainsi, il fallait forcément les avoir vécues – au moins à la marge. Et je me suis sentie très proche de Sophie Pointurier.
Notre part féroce est un grand récit. Sauvage, remuant, un brin dérangeant. Mais résolument contemporain. De ceux que l’on lit avec les tripes, l’enfance tapie non loin, prête à resurgir. À paraître le 28 août 2025.
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