Une odeur de gingembre, Oswald Wynd.
- loudebergh
- 3 juil.
- 3 min de lecture

Je n’aurais probablement jamais lu ce roman s’il ne m’avait été conseillé par une amie. Elle en parlait comme d’un livre dont elle n’arrivait pas à se défaire. Une histoire qui restait rivée à son cœur, comme un souvenir teinté de cette douce nostalgie du livre aimé et encore en cours.
La couverture m’a plu, j’ai lu le synopsis et j’ai pensé : ce roman sera celui de la découverte, de l’ouverture, à une région, à une période de l’histoire que je maîtrise mal de ce côté-ci du monde. Je pressentais la passion et la langueur, l’amour et le désespoir, le classique que l’on n’oublie jamais vraiment.
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En 1903, Mary Mackenzie embarque pour la Chine où elle doit épouser Richard Collinsgsworth, l'attaché militaire britannique auquel elle a été promise. Fascinée par la vie de Pékin au lendemain de la Révolte des Boxers, Mary affiche une curiosité d'esprit rapidement désapprouvée par la communauté des Européens. Une liaison avec un officier japonais dont elle attend un enfant la mettra définitivement au ban de la société. Rejetée par son mari, Mary fuira au Japon dans des conditions dramatiques. À travers son journal intime, entrecoupé des lettres qu'elle adresse à sa mère restée au pays ou à sa meilleure amie, l'on découvre le passionnant récit de sa survie dans une culture totalement étrangère, à laquelle elle réussira à s'intégrer grâce à son courage et à son intelligence. Par la richesse psychologique de son héroïne, l'originalité profonde de son intrigue, sa facture moderne et très maîtrisée, Une odeur de gingembre est un roman hors norme.
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Incitée, de par mon activité de libraire, à sans cesse lire « de la nouveauté » c’est avec un immense plaisir – presque subversif – que je me plonge dans les mots du passé. J’aime leur façon de considérer le temps, non comme quelque chose qu’il faut faire oublier aux lecteurs.ices par mille et une stratégies pour que les pages filent entre leur doigts, mais comme un bien précieux qu’il convient de considérer, de chérir et de faire exister. Car c’est dans ce temps (long) que réside la magie de la lecture.
Vous ne l’avez peut-être pas remarqué mais à la différence de ceux d’aujourd’hui, les romans que les années ont bercés (Une odeur de gingembre a été publié pour la première fois en 1977) prennent leur temps – et avec eux, celui de leurs lecteurs.ices. Et ce qui pourrait constituer un inconvénient de taille pour les êtres pressés.es que nous sommes, est en réalité une force. Les voilà capables de tisser un lien insensé avec celles et ceux qui les lisent. Parce que ceux-là même ont tout goûté de ces heures partagées avec leurs personnages : l’euphorie, la grâce et l’ennui, la déception, la peur et la haine.
C’est peut-être (en partie) pour cela que mon amie et moi-même avons eu tant de peine à quitter ce texte. Longuement, lentement, nous avons vécu avec Mary Mackenzie, depuis sa prime jeunesse jusqu’à la soixantaine sonnante. Nous avons suivi son parcours, ses errances et ses choix. Nous l’avons vue grandir puis vieillir, s’affirmer, devenir.
Nous l’avons aimée, sincèrement, comme une femme dont on a partagé la vie.
Nous nous sommes mises en colère parfois, nous n’avons pas compris.
Et puis nous avons vécu les guerres qui parsemèrent le début du XXème siècle en Chine et au Japon, nous nous sommes nourries des enjeux d’alors et avons goûté aux codes en vigueur. Parfois il a fallu lutter pour que nos lunettes d’aujourd’hui ne viennent pas se plaquer sur une réalité tant géographiquement qu’historiquement éloignée de la nôtre.
Mais là est le formidable pouvoir de la littérature : être à même de nous déplacer.
Dans tous les sens du terme.
J’ai aimé cette Mary plus que je n’ai bien voulu l’admettre (sa force, son regard, son humour, sa détermination), je me suis coulée dans son quotidien des heures durant et c’est avec tristesse et nostalgie que je termine ce chemin à ses côtés. Je crois avoir plus appris entre les pages d’Une odeur de gingembre, qu’entre celles de dizaines de romans et la fenêtre qu’elles ont percée dans mon paysage mental est immense et encore grande ouverte.
L’été a cela de bon : la chaleur, le temps retrouvé dévoile des horizons.
Ce roman d’Oswald Wynd en sera un. Espérons qu’il sera suivi de quelques autres
– pas trop tout de même,
car de la rareté nait le prix.
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