L'hibiscus pourpre, Chimamanda Ngozi Adichie.
- loudebergh
- 25 juin
- 2 min de lecture

L’hibiscus pourpre de Chimamanda Ngozi Adichie est un grand roman. Touffu, complexe et exigent.
Oh rassurez-vous, cela n’est pas dû à l’histoire qu’il met en scène ou aux thèmes qu’il aborde – somme toute tout à fait accessibles – mais bien à la narration qui les porte. Et c’est d’ailleurs en cela, que c’est un roman éminemment politique. S’il est d’abord l’histoire d’une émancipation, il l’est sur le long cours. Inscrit dans une temporalité qui n’est plus celle de notre époque mais qui lui donne toute sa force. Car L’hibiscus pourpre exige de l’attention – celle que l’on dit partout aux abonnés absents –, du temps, de la patience. Une réflexion, un regard sur l’infime, une compréhension de l’implicite. C’est un livre merveilleux et sourcilleux, qui se révèle dans toute sa splendeur les dernières pages venues.
*
Kambili vit dans une famille nigériane aisée avec son frère aîné Jaja. Leur père est un catholique fondamentaliste, très respecté par la communauté d’Enugu. Mais lorsqu’un coup d’Etat contraint Kambili et Jaja a trouver refuge chez Tatie Ifeoma, ils découvrent un foyer bruyant et plein de vie et leurs illusions sur l’autorité religieuse et paternelle tombent. Commence alors un douloureux combat pour s’affranchir du passé.
« À la maison la débâcle a commencé lorsque Jaja, mon frère, n’est pas allé communier et que papa a lancé son gros missel en travers de la pièce et cassé les figurines des étagères en verre. »
*
C’est avec une réelle maitrise de la narration que Chimamanda Ngozi Adichie, l’autrice des formidables Americanah et L’autre moitié du soleil s’empare de deux sujets éprouvants (le fondamentalisme catholique au Nigeria et la perversion narcissique). Inscrit dans le temps long, suivant un tempo mesuré et volontairement lent, L’hibiscus pourpre témoigne avec une infinie justesse de l’emprise que vivent Kambili, Jaja et leur mère. Voilà que nous sentons, au plus profond de notre être, la pesanteur de la situation, le caractère irrespirable de l’atmosphère familiale, la lourdeur de la plus douce des pensées. C’est avec finesse et intelligence que l’autrice nous amène à porter notre regard sur le moindre détail, de façon à sentir dans notre chair l’ampleur de l’horreur qui traverse cette famille: cet « amour » démesuré d’un père qui n’en est pas, la vie dans la peur – du père comme de dieu –, la non-vie tout simplement.
Les personnages sont complexes et raffinés. Exempts de manichéisme, pris dans leurs contradictions. Nous les rencontrons nus, secs, sans plus de sève, perdus dans cette vie dont ils ignorent tout – à l’exception de la terreur inspirée par le père et par la religion.
Grâce à un langues précise, pleine de circonvolutions, sinueuse, Chimamanda nous donne la mesure de cette triple émancipation. Elle montre sans condamner, plaque la vérité sous notre nez, donne corps à ses personnages. Sous ses doigts ils n’ont plus rien des êtres de papier qu’ils auraient pu être, les voilà bien en chair, vivants, sentant, grandissant.
Inspirant et s’inspirant.
Par ce texte, elle démontre l’immensité des pouvoirs des fictions. Elles seules sont capables d’ouvrir si grandes les fenêtres, d’élargir notre coin du monde, de donner à voir l’altérité, la pensée complexe, les tergiversations.
C’est grandiose.
Et cela mérite largement notre temps et notre attention.
Comments