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  • Photo du rédacteurloudebergh

Le pays des autres, Leïla Slimani.



Il n’y a pas à dire, Leïla Slimani est une femme impressionnante.

Puissante et terriblement talentueuse. Quatre ans après l’inoubliable Chanson douce - prix Goncourt 2016 - c’est peu dire qu’elle était attendue au tournant. Le tournant qui ferait d’elle la grande romancière que tous déjà, voyaient se dessiner en filigrane. Serait-elle capable d’égaler son premier chef-d’œuvre, écoulé à des millions d’exemplaires ? D’entrainer ses lecteurs au cœur d’une histoire dont ils ne se remettraient pas? D’inspirer les plus grands du cinéma ? Sans pour autant se perdre et laisser de côté son authenticité ?

Je crois pouvoir dire que oui. Capable elle l’a été en signant le premier tome de ce qu’elle nomme déjà trilogie. Et même haut la main !

Et cela ne m’a pas surprise. Je dois avouer que je suis absolument fascinée par la femme que Leïla Slimani incarne. Je la trouve toujours juste, inspirée (quel que soit le sujet) et inspirante, talentueuse, engagée, brillante, passionnante et infiniment libre. Elle maîtrise parfaitement l’art du discours, sait s’entretenir d’à peu près n’importe quel sujet avec poigne et modération et sait relever le tout d’une énergie solaire. Bref, vous l’avez compris, je porte énormément d’estime à la femme de Lettres qu’est Madame Slimani et suis enchantée de m’être précipité à la Librairie pour faire mien Le pays des autres.

En 1944, Mathilde, une jeune Alsacienne, s’éprend d’Amine Belhaj, un Marocain combattant dans l’armée française. Après la Libération, le couple s’installe au Maroc, à Meknès, ville de garnison et de colons. Tandis qu’Amine tente de mettre en valeur un domaine constitué de terres rocailleuses et ingrates, Mathilde se sent étouffée par le climat rigoriste qui règne dans le pays. Seule et isolée à la ferme avec ses deux enfants, elle souffre de la méfiance qu’elle inspire en tant qu’étrangère et du manque d’argent. Le travail acharné du couple portera-t-il ses fruits ?

Les dix années que couvre le roman sont aussi celles de la montée inéluctable des tensions et des violences qui aboutiront en 1956 à l’indépendance de l’ancien protectorat.

« Selma, au contraire, dégageait une confiante sensualité. Ses yeux étaient aussi noirs et brillants que les olives que Mouilala faisait mariner dans le sel. Ses sourcils épais, ses cheveux drus et plantés bas sur le front, son léger duvet brun au-dessus de la lèvre la faisaient ressembler à l’héroïne de Bizet ou à celle de Mérimée, à ce à quoi, en tout cas, Mathilde associait les méditerranéennes. Des femmes poilues et vibrantes, des brunes fiévreuses capables de rendre fous les hommes. »

Et au milieu de ces pages, une myriade de personnages, tous vivant au pays des autres : les colons comme les indigènes, les soldats comme les paysans, tous exilés. Les femmes aussi et surtout, évoluant dans un pays fait par et pour les hommes, subissant diktats et accès de violence, et luttant pour la moindre parcelle d’émancipation.

Et des personnages n’appartenant à aucun camps, ou plutôt à un camps qui n’existe pas, étrange, à la fois victimes et bourreaux, compagnons et adversaires, hybrides, excommuniés, incapables de donner un nom à leur loyauté et priant pour un dieu dont ils ignorent jusqu’au nom.

« Aïcha connaissait ces femmes aux visages bleus. Elle en avait vu souvent, des mères aux yeux mi-clos, à la joue violette, des mères aux lèvres fendues. A l’époque, elle croyait même que c’était pour cela qu’on avait inventé le maquillage. Pour masquer les coups des hommes. »

De leurs désirs et de leurs regards, en s’inspirant de sa propre histoire familiale, Leïla Slimani a fait une magnifique fresque emplie d’humanité, de justesse et de subtilité. Loin des poncifs et des caricatures, elle donne à ses personnages (colons comme indigènes) une épaisseur psychologique passionnante et vivifiante et nous entraine dans un Maroc des années 50 en pleine mutation, empli de désirs et de colères, de rage de vivre en liberté. On sent les recherches historiques fouillées, les descriptions soignées et la truculence du récit.

Au loin, on distingue les pattes de Flaubert, de Faulkner et de Zola, tapies dans l’ombre, sérieuses et attentives

et d’un regard d’un seul, empli de respect et de déférence, on les remercie d’avoir donné naissance à des écrivaines de la trempe de Leïla Slimani.

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