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Les conséquences, Nina Weijers

Dernière mise à jour : 2 janv. 2019


« La seule chose que le poisson doit faire est de se perdre dans l’eau ».


C’est un roman étrange que tu tiens entre les mains, un livre qu’il te sera aussi difficile de faire tien que d’abandonner. Un livre qui dérange un peu, interroge beaucoup, et laisse derrière lui un je ne sais quoi d’inachevé. Et cela le rend puissant, fascinant.


C’est avec une indicible grâce, délicatement teintée de cynisme, que le livre nous promène – le terme est sciemment choisi – dans un univers chaloupé. De gauche, de droite, dans le passé, dans le futur, il nous entraine et nous surprend. On y est, on y croit. On pense : on est sur une satire de la scène artistique contemporaine ! Et puis non, du moins, pas que. On est plus loin, plus haut, sur quelque chose qui s’apparente à une aventure métaphysique, délicieusement ironique, insidieusement érudite. Les conséquences te font découvrir Hildegarde de Bingen, tu penses l’entendre, la toucher, la comprendre. Avec fracas ensuite, s’invite le calendrier maya. Que vient-il faire celui-là penses-tu ; encore aujourd’hui, tu ne sais trop. Mais qu’importe. Tu y trouveras du Beckett aussi, et bien d’autres. Et il y aura des questionnements, beaucoup. Sur ce que c’est qu’Être, tu sais, Être avec un grand E ; ce que c’est qu’exister, vraiment. Pour soi et dans le regard de l’autre, surtout dans le regard de l’autre.


Roman complexe à raconter car s’y entremêle tout et son contraire, tout le temps. Alors je te conseille de commencer par le commencement : le prologue. Un joli prologue, pleins de grâce et suffisamment allant pour te donner l’envie de lui offrir une suite.


« Le jour où Minnie Panis disparut pour la troisième fois de sa propre vie, le soleil était bas et la lune haut dans le ciel. C’était le 11 février 2012, une journée claire, froide mais pas assez : tôt le matin, elle avait déjà pu sentir la chaleur du soleil sur la peau pâle et rêche de son visage. C’était un samedi.

/…/

On peut se demander pourquoi vers deux heures de l’après-midi, Minnie alla délibérément se tenir sur la glace trop fine et y resta alors que celle-ci se brisait, juste légèrement étonnée quand cela s’accomplit sous ses pieds, cette transformation du solide en liquide. Pourquoi elle ne se contenta pas de voir les arbres, mais les regarda et sut avec certitude que c’étaient des platanes. Pourquoi elle eut le réflexe de balancer les bras, comme une parodie de danseur de corde, et pourquoi, mais pourquoi tout cela ne fit pas un seul bruit. »


Tu l’a compris, cette histoire est celle de Minnie Panis, artiste conceptuelle renommée au Pays-Bas et à l’internationale, hantée par les trop classiques (penses-tu !) questions du « qu’est-ce que vivre ? », est-ce « autre chose qu’être vu par autrui ? ». Elle y répondait par une série de photos - série qui la rendit célèbre -, témoignant des traces de son existence mais jamais d’elle-même.

Un jour cependant, et c’est là que tout commence, elle se découvre presque nue, offerte à tous les regards, sur la couverture du dernier Vogue Magazine. Désireuse de ne pas se contenter de subir ce « vol d’image », elle conçoit un nouveau projet artistique, entrainant le voleur dans une course dans laquelle elle n’est pas certaine de sortir indemne.

Mais il y a autre chose. Celle-là même qui donne au roman toute sa saveur. Si Minnie se pose tant de questions sur son existence, c’est qu’elle a bien failli ne pas naître et ne pas survivre ensuite. A plusieurs reprises, les interventions d’un mystérieux médecin aux méthodes New Age l’ont sauvée. Mais elle ne peut en avoir gardé le souvenir.


Voilà, maintenant, tu sais tout. Ou plutôt tu ne sais rien. Parce qu’il est bien difficile d’en dire plus sans en dire trop, de donner sans dévoiler. Le début du roman, essentiellement consacré au monde de l’art et à la carrière de Minnie est délicieux. Léger à souhait, ironique au possible, il est juste et sensible :


« A un salon, Minnie avait rencontré deux artistes, des sœurs jumelles, toutes deux d’une telle maigreur que leur peau avait pris une couleur grise. Les deux sœurs faisaient des installations vidéo sur le trouble alimentaire qu’elles entretenaient l’une chez l’autre. Elles étaient devenues riches et mondialement célèbres grâce à ces installations, qui montraient les dérives de l’idéal de beauté féminin, critiquaient la société de consommation, remettaient en question à la fois l’individualisme et la collectivité, ect. En réalité, pensa Minnie, il existait des folies pour lesquelles on ne pouvait pas trouver d’autre nom que celui de l’art ».


L’auteur, Nina Weijers, donne corps à un personnage terriblement subtil et attachant. Une femme-enfant, penses-tu. Et peut-être pas d’ailleurs. Une amoureuse, une passionnée aussi. Et en même temps, non. Pour moi, c’est le mot buée qui me vient en tête lorsqu’il s’agit de la caractériser. Cette fille, c’est un nuage, une évanescence, quelque chose qui a un rapport un rien particulier avec ce que nous nommons pesanteur. J’ai aimé cette légèreté, faite corps dans un paysage Amstellodamois précieux comme une première neige. J’ai aimé me frotter à cette fille aussi perdue que déterminée, vulnérable, un brin sauvage. Et très tragique aussi. Ce livre est une petite pépite. Une toute petite ; comme le sont parfois les premiers romans. On se dit qu’en creusant, on peut y trouver tellement.


« Il y avait déjà dix minutes que la fille d’attente ne bougeait plus. Autour d’elle, les gens perdaient patience, ils voulaient avancer, avancer, mais ne pouvaient plus se déplacer que de côté. Des bras et des jambes dépassaient de la file, des valises, des sacs à dos, des petits enfants. Ils cherchaient les barreaux de leur cage et frappaient contre eux sans faiblir jusqu’à leur libération, nourrissant l’illusion que les coups qu’ils donnaient y avaient contribué. »


Une première neige, disais-je. C’est vraiment ce que ce roman, déjà couronné de trois prestigieux prix littéraires, m’évoque une fois refermé.

Quelque chose de doux,

de froid.

Quelque chose de magique,

De fragile et d’impénétrable.

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