Il est toujours savoureux de replonger dans les livres qui ont fait le sel de notre enfance.
On les ouvre avec curiosité – se demandant si l’on sera à nouveau touché, si l’histoire et ses personnages auront bien vieilli et si la magie opèrera à nouveau – on lit les premières pages avec avidité, goûtant à la joie immédiate de l’enfance ressuscitée, et on dévore la suite, émerveillé·e de constater que le plaisir n’a pas fané.
C’est en écoutant l’autrice de bandes dessinées Pénélope Bagieu sur France inter, parler de Matilda comme du personnage de fiction de son enfance que j’ai eu envie, moi aussi, d’aller jeter un œil du côté de mes plus jeunes années.
Je ne me souvenais plus de grand-chose, à vrai dire – je n’étais même plus certaine d’avoir lu Matilda - mais dès les premières lignes, c’est une kyrielle de souvenirs qui ont émergé de ma mémoire et se sont fracassés contre ma conscience : j’étais à nouveau en Bretagne – vacances d’été oblige – en haut de l’escalier raidissime qui menait à notre chambre, dans la maison de vacances de mes grands-parents, et j’avais, sur les genoux, un exemplaire de Matilda emprunté au CDI de l’école. Je me souviens très bien de sa couverture – la même que celle du roman glané ces derniers jours dans les rayonnages de la bibliothèque de mon village – et me suis surprise à ressentir la même gratitude en redécouvrant, non sans un pincement au cœur, les illustrations de Quentin Blake qui en émaillaient les pages jaunies. Tout y était : la sensation des feuillets tournés, leur odeur indéfinissable de papier fatigué et le soyeux de la tranche bleutée de l’édition spéciale folio.
Ce même été, je m’en souviens maintenant, je lisais également Zazie dans le métro de Raymond Queneau, Le mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux et Les lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet. – Rien que pour le plaisir de ce voyage dans l’enfance, soit dit en passant, relire les livres se notre jeunesse devrait nous occuper autrement plus que ce dont nous avons coutume.
Mais revenons à Matilda !
Avant même d’avoir cinq ans, Matilda sait lire et écrire, connaît tout Dickens, tout Hemingway, a dévoré Kipling et Steinbeck. Pourtant, son existence est loin d’être facile entre une mère indifférente, abrutie par la télévision et un père d’une franche malhonnêteté. Sans oublier Mlle Legourdin, la directrice de l’école, personnage redoutable qui voue à tous les enfants une haine implacable.
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Je crois que si le personnage de Matilda m’a autant plu – et me plait encore – c’est parce que je me suis beaucoup retrouvée en elle. Et si je ne lisais pas Dickens ou Hemingway à cinq ans, les seuls souvenirs que j’ai conservés de mon enfance sont liés à des livres : Jane Eyre, L’assommoir, Miss Charity, Lettres d’amour de 0 à 10, Soldat Peaceful, Je suis une esclave… À chacun de ces romans, je peux associer un lieu, une époque, un vêtement, une odeur.
J’étais une lectrice aussi avide qu’insatiable. Je trouvais dans les livres un immense réconfort et passais – plus ou moins – mes journées entre leurs pages : je lisais en marchant pour aller à l’école, dans le bus, à la cantine parfois, sur mes genoux pendant les cours, dans les vestiaires de la salle de sport, entre deux morceaux derrière mon pupitre pendant les répétitions d’orchestre.
Comme Matilda, la lecture était mon trésor, mon échappatoire, ma grande aventure à moi.
M’enfoncer dans les pages du roman de Roald Dahl à vingt-neuf ans, c’était revivre cette époque. J’y ai retrouvé l’intelligence, la truculence et la finesse des héro·ïnes de l’auteur britannique, le plaisir de ses histoires pleines de magie, les joies du manichéisme franc qui caractérise ses récits et la candeur de ses univers colorés. Et c’est un grand bol d’enfance parsemé de benco que j’ai eu le sentiment d’avoir bu en en refermant les pages.
Je ne peux que vous inciter à relire les textes qui ont fait de vous les lecteur·ices que vous êtes. C’est heureux, vivifiant et salvateur, surtout lorsque vous tentez de retrouver l’enfant que vous avez été pour comprendre la personne logée dans votre peau aujourd’hui.
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