Mon vrai nom est Elisabeth, Adèle Yon.
- loudebergh
- il y a 1 jour
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Il fut un temps, non loin du nôtre, où les femmes un peu trop indépendantes, bruyantes, en colère, autonomes, désobéissantes ou jugées peu maternelles, pouvaient passer une vie entière internées. Subir cures de Sakel (comas hypoglycemique imposés pendant des mois), électrochocs, bains glacés, viols réguliers ou lobotomie, sur simple décision du père ou du mari – des hommes qui bien souvent n’étaient pas exempts de reproches et contribuaient largement à la souffrance de leur femme/fille.Â
Mais sur ce point on préférait apposer un voile pudique et dire c’est elle, c’est la folle de la famille. Celle avec des trous de chaque côté du crâne et les cheveux qui tombent par poignées. Celle devenue bête et sans filtre. Celle morte dans la solitude et le dénuement.Â
Il fut un temps où le patriarcat s’exprimait encore si vivement dans le monde médical que c’en était nauséeux. Il s’agissait ni plus ni moins de réduire en charpie les femmes qui aspiraient à quelques onces de liberté. D’en faire au mieux de bonnes petites soldates, au pire des dégénérées. Et les rares que les familles avaient accepté de « reprendre » ensuite n’étaient plus jugées qu’à l’aune de leur capacité à ne pas faire de vague, à obéir à leur mari, tenir leur foyer et prendre soin des enfants. Et tant pis si leur cerveau n’était plus que l’ombre de lui même, que leurs émotions comme des rats avaient quitté le navire et qu’elles n’étaient plus bonnes qu’à exécuter des taches opératoires.
Je tremble rien que de l’écrire.Â
Cette histoire voyez-vous, c’est celle de milliers de femmes en France et dans le monde (parce que oui, on ne lobotomisait presque que les femmes). C’est aussi celle de Betsy, l’arrière grand-mère d’Adèle Yon, autrice de Mon vrai nom est Elisabeth.Â
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Une chercheuse craignant de devenir folle mène une enquête pour tenter de rompre le silence qui entoure la maladie de son arrière-grand-mère Elisabeth, dite Betsy, diagnostiquée schizophrène dans les années 1950. La narratrice ne dispose, sur cette femme morte avant sa naissance, que de quelques légendes familiales dont les récits fluctuent. Une vieille dame coquette qui aimait nager, bonnet de bain en caoutchouc et saut façon grenouille, dans la piscine de la propriété de vacances. Une grand-mère avec une cavité de chaque côté du front qui accusait son petit-fils de la regarder nue à travers les murs. Une maison qui prend feu. Des grossesses non désirées. C'est à peu près tout. Les enfants d'Elisabeth ne parlent jamais de leur mère entre eux et ils n'en parlent pas à leurs enfants qui n'en parlent pas à leurs petits-enfants. "C'était un nom qu'on ne prononçait pas. Maman, c'était un non-sujet. Tu peux enregistrer ça. Maman, c'était un non-sujet.Â
Mon vrai nom est Elisabeth est un premier livre poignant à la lisière de différents genres : l'enquête familiale, le récit de soi, le road-trip, l'essai. A travers la voix de la narratrice, les archives et les entretiens, se déploient différentes histoires, celles du poids de l'hérédité, des violences faites aux femmes, de la psychiatrie du XXe siècle, d'une famille nombreuse et bourgeoise renfermant son lot de secrets.
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Je ne suis pas seule à le dire : ce livre, qui a été un véritable tourbillon médiatique, un pavé dans la mare, est nécessaire. Narré d’une maîtresse-main, avec force et circonvolutions, il est de ceux qui forgent un avant et un après. Il enquête, il est recherche, il est archive. Il est mille et une questions, mille et un errements. Il tâtonne, donne la parole, ouvre des portes. Et témoigne d'un immense désir de vérité.
Il est important parce qu’il rappelle que la misogynie de la médecine a une origine. Qu’elle est à l’image de la société. Et qu’il serait de bon ton de ne plus jamais la taire. De ne plus faire comme si tout cela était loin. Comme si le silence qui régnait alors devait rester la sacro-sainte valeur.Â
Merci Adèle Yon pour cette formidable plongée dans l’histoire de votre famille.
Merci d’avoir levé le voile sur ce que l’on a préféré taire,
merci d’avoir clamé haut et fort que son vrai nom était Elisabeth.Â