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Murambi, le livre des ossements, Boubacar Boris Diop.

Photo du rédacteur: loudeberghloudebergh

« Ce roman est un miracle. Il confirme ma certitude qu’après un génocide, seul l’art peut essayer de redonner du sens.

Avec Murambi, le livre des ossements, Boubacar Boris Diop nous offre un roman puissant, terrible et beau. »

Toni Morrison.


Quiconque lit régulièrement ce blog connaît mon amour pour Toni Morrison. Pour la femme d’abord, l’insondable, la courageuse,

et pour son Œuvre, immense, subtile, terrible.

Il ne me fallait pas plus de mots pour poser Murambi, le livre des ossements – offert par une de mes plus précieuses amies - tout en haut de ma « pile de livres à lire » et de le faire mien aussi vite que possible.


Car toute parole de Toni Morrison est d’or.


Et celle-ci l’est plus que toute autre.


« Ils savent que c’est fini. Les chefs ne songent plus qu’à quitter le pays. Les barrières que l’on n’a pas encore démantelées sont presque toutes désertes. Mais de temps en temps, au coin d’une rue, on entend des rires et de joyeux battements de mains. Un Tutsi que l’on vient de découvrir par hasard. Sorti trop tôt de sa cachette. On le liquide au passage. Comme un cancrelat s’aventurant au milieu de la cour et aveuglé par la lumière. On l’écrase d’un coup de talon sans y prêter attention. »


Il y a plusieurs années, j’ai séjourné près de deux mois à Kigali, au Rwanda. A mon retour, j’ai lu tout ce qui me tombait sous la main (romans, essais, écrits divers, témoignages) au sujet de l’effroyable génocide des Tutsis de 1994.

Mais aucun de ces exercices ne m’a semblé avoir le quart du tiers de la force de Murambi, le livre des ossements, et la moitié de sa puissance d’évocation.


*


Le roman de Boubacar Boris Diop est d’une extraordinaire lucidité. Construit comme une enquête, il nous éclaire sur l’ultime génocide du XXème siècle.

Avant, pendant et après, ses personnages se croisent et se racontent. Jessica, la miraculée qui sait et répond du fond de son engagement de résistante ; Faustin Gasana, membre des milices du Hutu Power ; le lumineux Siméon Habineza et son frère, le docteur Karekezi ; le colonel Perrin, officier de l’armée française ; Cornélius enfin qui, de retour au Rwanda après de longues années d’exil, plonge aux racines d’une histoire personnelle tragiquement liée à celle de son peuple.


*


Ce livre est né d’une volonté de deux artistes, Maïmouna Coulibaly et Nocky Djedanoum, choqués par le silence des intellectuels africains face à la tragédie du Rwanda, d’impliquer une dizaine d’écrivains dans une réflexion sur le génocide.

De cette initiative a germé la résidence d’auteurs « Rwanda : écrire par devoir de mémoire ». Son but : prendre toute la mesure de la tragédie, réhumaniser les victimes et opposer un projet de vie au projet d’anéantissement des génocidaires.


Voilà pour ce qui est du topo général, des grandes lignes et de ce qu’il fait bon dire en introduction.

Une façon d’annoncer la couleur,

Sans trop se mouiller.

Sauf qu’une fois que l’on a refermé Murambi, le livre des ossements, l’un des écrits nés de cette résidence, il n’est plus possible de se contenter de sagesses allongées sur le papier et de phrases toutes faites, juste bonnes à couvrir la quatrième de couverture de sa dernière édition.


Car une fois le livre refermé,

ses 220 effroyables pages dont on pensait connaître le contenu,

il ne reste plus que le chaos, la sidération et la colère.

La colère surtout.

Celle de constater qu’il y a 27 ans seulement, l’inimaginable ait pu se produire au vu et au su de tous. Tout en se trouvant soutenu par la France, pays « des droits de l’Homme ». Après tout, Mitterrand lui-même le disait : « Dans ces pays là, un génocide, ce n’est pas trop important ».


Sauf que moi, je suis née le 16 juin 1994. Pile au milieu des « fameux » cent jours. Les pires que le Rwanda ait trouvés sur sa route. Et imaginer qu’à la seconde où je prenais ma première bouffée d’air, des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants expiraient dans d’atroces souffrances, m’est aujourd’hui intolérable.


Là n’est pas le problème, me direz-vous.

Et vous avez tout à fait raison.

Mais il vous suffira de lire la postface (rédigée par l’auteur) de cet admirable roman pour avoir envie d’hurler votre dégoût, votre hargne et votre honte d’être né dans un pays dans lequel le cynisme et les intérêts bassement politiques n’avaient pas de limites – j’ai tendance à penser que les choses n’ont pas tant changé que cela.


Mais voilà qu’à nouveau je m’égare.

Venons-en au texte.

Murambi, le livre des ossements, est un roman bouleversant et fascinant, aussi somptueux qu’abjecte, d’une puissance abyssale, d’une absolue vérité. C’est un texte qui vient gratter les tréfonds de notre âme et y coller les lambeaux de centaines de chaires meurtries. Plaies béantes dans une Histoire pas si ancienne.


C’est la retranscription de l’horreur poussée à son paroxysme, de l’inhumanité dans ce qu’elle a de plus fou, de la folie dans ce qu’elle a de plus inhumain.

Ce sont les témoignages d’hommes et de femmes, victimes ou bourreaux, qui trouvent, pour la première fois de leur vie, la force de raconter l’innommable.

C’est un roman d’une clairvoyance rare, une analyse fine des mécanismes ayant été à l’œuvre depuis les années 50 et un tableau que le monde occidental a, au mieux, refusé de voir, au pire, financé et soutenu.

Dans ses plus sombres heures.


Grâce à son talent de conteur, Boubacar Boris Diop parvient à faire pénétrer dans nos consciences les noms et les visages des acteurs de la sanglante tragédie rwandaise. J’ai été soufflée par la grandeur de ses mots. Leur simplicité aussi.

Des mots qui ne se donnent pas à voir

- ils n’en ont pas besoin.

Mais qui portent en leur sein le tranchant du glaive et la tendresse du pinceau.

 
 
 

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Louise DE BERGH, Chardonne. 

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