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  • Photo du rédacteurloudebergh

Voici les noms, Tommy Wieringa.


Souffle cruel, souffle magique,

Voici les noms est une pépite.

Un morceau d’or caché au fond d’une poche, un petit bout d’âme qui colle au cœur et au corps.


Mon frère m’a offert ce roman voilà maintenant presque deux ans. Son libraire lui en avait parlé, il ne fallait pas hésiter.

Depuis, régulièrement lorsque je cherchais un nouveau livre à faire mien, j’ouvrais Voici les noms et entamais la première page. Très vite pourtant, et systématiquement, je le refermais, le réinstallant confortablement sur la fatidique et bien trop haute pile de livres à lire. Ce n’était pas le moment, je sentais qu’il me fallait être autre pour en saisir toute l’ampleur.

Certains livres sont comme les desserts de grands chefs pâtissiers ; inutile de les déguster affamé, on aurait de bien trop grandes chances de ne pas les savourer.


C’est donc le corps repu et l’âme gorgée de la poésie de ma dernière lecture que j’ai commencé, il y a deux jours de cela, Voici les noms, un roman superbement intelligent, servi par une écriture limpide et un scénario d’une originalité rare.


Ils étaient quatorze et ne sont plus que cinq. Cinq migrants clandestins ayant cru leur passeur, mais bientôt abandonnés dans un désert pierreux battu par les vents, un territoire qu’ils pensaient libre et heureux puisque situé au-delà de la frontière.

Quelque part à l’est de notre continent, une ville, Michaïlopol, poursuit sa lente décadence sous l’œil désabusé de son commissaire de police, Pontus Beg. Univers de violence pas toujours ordinaire, d’arbitraire corruption, d’amours ancillaires vagues et misérables – ce flic usé donne soudain sens à sa vie en se découvrant une appartenance religieuse : la Torah devient pour lui promesse de sens, lecture inédite du monde.

Quand les clandestins, après des mois d’errance, arrivent enfin à Michaïlopol, ces moribonds venus d’ailleurs sont pour tous un objet d’effroi. Vite embarqués au poste, ils sont placés à l’isolement. Lors de leur arrestation, on trouve parmi leurs pauvres effets un colis macabre emmailloté dans une guenille.


« Pressés les uns contre les autres comme de pauvres diables, les prisonniers courbaient leurs têtes rasées. Des tournesols cassés. »


Le tout peut sembler bien complexe, un peu fouillis, mais il n’en est rien. Avec les chapitres alternent les histoires de Pointus Beg et des clandestins, histoires qui finiront par s’entrelacer superbement, douloureusement.

Sur le mode de l’apologue, Tommy Wieringa, nous livre une remarquable condamnation de l’état du monde au XXIème siècle.

Parce que l’on ne sait rien, ni d’où cela se passe réellement, ni de quand. On ne sait pas non plus d’où viennent ces clandestins, à la recherche d’une vie meilleure et d’une terre promise. Seuls leurs corps décharnés et leurs âmes moribondes nous prennent à la gorge, seule leur immense solitude nous bouleverse. Leurs grands yeux creusent leur visage et ravagent notre cœur ; le peu qui les rattache encore à ce que l’on pourrait nommer Humanité nous émeut aux larmes. Parallèlement, il y a cette recherche des origines de Pontus Beg, cette nouvelle alliance avec la religion juive qui, comme une torche au creux d’un soupirail, met en lumière le récit avec grâce et intelligence. Tout s’imbrique imperceptiblement. A la douleur et la tristesse se mêlent l’innommable et les passions ; à la grandeur du Texte répond la magie de la croyance, les affres de l’imagination.


Un grand roman qui, comme lors d’un bain de gongs, plonge notre cœur et notre âme dans les méandres de résonances sans fin.


« Jadis, pays et continents étaient ouverts à ceux qui cherchaient la fortune. Les frontières étaient souples et perméables – elles étaient maintenant bétonnées et garnies de fils barbelés. Tels des aveugles, les voyageurs par milliers à la fois, tâtaient les murs, à la recherche de points faibles, d’une brèche, d’un petit trou à travers lequel ils pourraient se glisser. Un flot d’êtres humains venait se jeter contre ces murs, il était impossible de tous les arrêter. Ils arrivaient, innombrables, et chacun d’eux vivait dans l’espoir et l’attente de faire partie des bienheureux qui pourraient passer de l’autre côté. C’était le comportement des bêtes qui se déplacent en nuées, en volées ou en hordes, qui comptent avec la perte des individus mais qui survivent en tant qu’espèce. »

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