La nuit au cœur, Nathacha Appanah.
- loudebergh
- il y a 14 minutes
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Certains romans sont comme des nuits sans lune que le sommeil fuit. On en ressort essorés, épuisés, subjugués.
Ils sont tunnel, ils sont plongée. Ils sont la noirceur en ce qu’elle a de plus absolu.
Trou noir. Gouffre. Abîme.
Ils ont une force aussi. Intrinsèque et tellurique. Quelque chose qui les tient droit à jamais. Écrits avec les tripes, le corps, l’âme, écrits comme s’ils ne pouvaient ne pas être.
Ils sont. À jamais.
La nuit au cœur de Nathacha Appanah est de ceux-là. Elle a décroché quelque chose en moi, comme si la peau de mon crâne s’était peu à peu détachée du reste.
Elle m’a retournée comme un gant et m’a saisie.
Je savais que ce roman serait important. Partout on le disait parmi les plus grands de la rentrée littéraire. J’y croyais dur comme fer et puis j’aimais tant la plume de son autrice ! Je crois n’avoir jamais lu la violence comme Nathacha Appanah la raconte. Avec cette précision, cette hargne, cette immensité. Son Tropique de la violence reste parmi les romans qui m’ont le plus marquée cette année.
Sa plume est un scalpel. Capable d’éventrer le réel, de l’ouvrir en deux en quatre, en douze. C’est une loupe qui regarde. Un couteau qui sculpte et reprend. Inlassablement.
*
« De ces nuits et de ces vies, de ces femmes qui courent, de ces cœurs qui luttent, de ces instants qui sont si accablants qu’ils ne rentrent pas dans la mesure du temps, il a fallu faire quelque chose. Il y a l’impossibilité de la vérité entière à chaque page mais la quête désespérée d’une justesse au plus près de la vie, de la nuit, du cœur, du corps, de l’esprit. De ces trois femmes, il a fallu commencer par la première, celle qui vient d’avoir vingt-cinq ans quand elle court et qui est la seule à être encore en vie aujourd’hui. Cette femme, c’est moi. »
La nuit au cœur entrelace trois histoires de femmes victimes de la violence de leur compagnon. Sur le fil entre force et humilité, Nathacha Appanah scrute l’énigme insupportable du féminicide conjugal, quand la nuit noire prend la place de l’amour.
*
Il est question d’emprise, de survie et d’anéantissement.
Il est question de faire littérature de ces abjections. De ce système qui entraine tant de femmes vers la disparition et la mort sous la main de leur conjoint.
Il est question de raconter l’inracontable, de rendre hommage, de rester debout. De faire en sorte que ces femmes, jamais, ne soient oubliées.
Il est question d’échos, de douleur, de cri poussé depuis les tréfonds de son corps
et de voix que l’on cherche à éteindre à jamais.
Tout ne sera donc pas dit, pas écrit, parce que d’une troublante manière, par un étrange sort, le silence face à la chose est ce qui me maintient droite. Ce silence sera mon secret, ma colère, mon objet de chantage, mon jardin de minuit, mon retour au pouvoir, enfin.
C’est un texte important, un texte nécessaire. Car il détricote les mécaniques, bâtit des ponts, dresse des parallèles et rend universel ce que l’on préfère croire individuel. De "petites" histoires, il en édifie une grande, immuable et mouvante, immense.
Car toute de littérature faite,
seule apte à porter la plume dans la plaie.
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